Le cimetière des souvenirs.

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Les pas de HoSeok marquent le sable humide alors qu'il se perd entre les multiples pierres tombales. Ses yeux bruns zieutent les noms gravés, qui défilent par centaine devant lui mais il n'en reconnait aucun, sûrement parce qu'il n'avait jamais connu toutes ces personnes enterrées. HoSeok aurait aimé connaitre certaines de ses belles âmes.

Le cimetière est terne en ce mois d'automne, accompagné d'un ciel pastel, celui des soirs où on croirait l'apocalypse imminente. Un ciel rouge comme le sang au plus ras des champs, et pourtant si bleu au-dessus des toitures. Le grand lieu était vide de vie – mais pas de mort. De nouvelles fleurs venaient d'être déposées sur la plupart des tombes, en mémoire des défunts, et les couleurs des chrysanthèmes parsemaient le sol d'un peu de joie, d'un peu de souvenirs.

HoSeok caresse du bout des doigts les stèles qui sont à sa hauteur, d'un geste las et pensif. Le froid l'assaille mais il n'y prête pas de réelle attention, après tout, lui, il ressentait encore le froid. Ainsi que le manque et la douleur de la perte. Il resserre tout de même son bomber kaki contre son torse, d'une main – l'autre étant occupé par un bouquet de Dahlias rouges. Des dahlias rouges, pourquoi des dahlias rouges déjà ? Pourquoi pas de banales chrysanthèmes, fleurs des commémorations ? HoSeok ne savait pas trop pourquoi son choix c'était porté sur la différence, il avait juste contemplé les fleurs, en avait demandé un bouquet et n'avait pas réfléchi au pourquoi du comment.

Il soupire, il aimait cette solitude, ce silence, mais l'endroit l'oppressait. Il redoutait de tomber sur la personne qu'il recherchait, car cela signifierait qu'il était bien mort en même temps que celui qui se trouvait six pieds sous terre. L'un avait perdu son enthousiasme et l'esprit, l'autre avait perdu l'âme et la vie. Ils étaient comme mort tous les deux au même moment. HoSeok n'était plus le même que part la passé depuis l'accident. Il avait toutes ces séquelles, ces marques physiques, et mentales.

Les noms n'en finissent plus, les mots gravés sur les plaques non plus. A une tante, un cousin, un frère, une mère, un ami du sport, à un mari. Tant de disparition brutale et inattendue, si peu d'années passées sur Terre pour toutes ces personnes. Trop de jeunes dans ce cimetière, trop de familles brisées, trop de larmes tombées sur ce sable mou, trop de haine à Dieu crié face à cette vieille chapelle aux vitraux sales. Quelques photos traînent sur les pierres tombales, à côté des fleurs ou des cadeaux déposés. HoSeok se voit, entre un arbre et une pierre cachant un cercueil d'un gamin décédé depuis trois mois – c'était triste, des tas de jouets Minions s'y trouvaient, tout comme un cœur fait de galets, ainsi qu'un tas de photo de lui et sa famille, ça rend HoSeok triste. Mais il se voit et se redécouvre sur une photo encadrée – « à mon sourire ». Le garçon s'accroupit et attrape l'objet du bout des doigts, tremblant un peu. Qu'est-ce qu'il avait l'air heureux, sur le cliché, jeune et insouciant, jeune et libre, jeune et vivant. La tristesse prend le dessus, et maintenant, il n'est plus aussi serein que lors de son entrée dans le lieu de repos des morts.

Alors c'est à ça qu'il ressemblait, avant ? Pourquoi ne pouvait-il pas sourire de nouveau comme ça ?

Il pose le bouquet sur la pierre en marbre, avec précaution, et caresse le marquage « à mon sourire ». Son sourire était enterré sous ses pieds depuis si longtemps déjà, des mois, deux ans. Sur la photo, il tenait par l'épaule son copain, son ancien copain, celui qui avait une crinière blanche et une grande mèche lui cachant son front.

« Kim Nam Jun

12.09.1994 – 19.07.2014 »

Décédé dans un accident de voiture, à la sortie d'une soirée, à cause d'un chauffard alcoolisé. HoSeok s'en est sorti de justesse, après dix-neuf mois de coma. Pas son petit ami.

Le cimetière des souvenirs.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant