m o n o c h r o m e

P r o l o g u e

Le monde était sa plus grande source d'inspiration.

Quand Ilya souffrait de la maladie de la page blanche, il lui suffisait de sortir faire un tour et les merveilles de la nature gonflaient son cerveau d'idées nouvelles.

C'est pourquoi elle se retrouvait seule dans les rues enneigées de la ville. Il n'était pas bien tard, mais il faisait froid et comme c'était dimanche, personne n'était assez fou pour mettre un pied dehors. Sauf elle, bien évidemment.

Aussi, elle fut surprise de voir au coin de la rue voisine une silhouette, marchant d'un pas pressé malgré le risque de glisse. Elle qui se demandait où se rendre avait trouvé le guide parfait. Elle suivait souvent des personnes choisie au hasard dans la rue et, parfois, ces parfaits étrangers connaissaient des endroits qui lui étaient complètement inconnus, et pourtant si magnifique. C'était de cette façon qu'elle avait peint son plus beau tableau, fait à l'aquarelle, et bien au chaud chez elle.

Ilya frissonna. Elle s'efforçait de garder un air naturel en suivant ce qu'elle pensait être un jeune homme. Et elle ne s'approchait pas trop non plus, ne voulant pas l'effrayer. Ça ne lui était jamais arrivé de se faire prendre à suivre des gens, mais le jour où ça arriverait, nul doute qu'elle aurait la pire honte de toute sa vie.

Au bout d'un certain moment, l'inconnu bifurqua vers ce qui lui semblait être un parc. Ilya aimait particulièrement les parcs, mais celui-ci ne lui disait rien du tout. Elle essayait de retracer son chemin pour savoir où elle se trouvait exactement, mais il ne semblait pas y avoir de parc dans cette partie de la ville. Pas dans ses souvenirs, tout du moins.

Elle s'approcha un peu plus, et s'arrêta net, comme si le froid avait eu raison d'elle et l'avait soudainement figé, transformé en glace. Ilya avait étrangement mal au coeur, et sa poitrine semblait aussi lourde qu'une montagne. Non, plutôt qu'une chaîne de montagnes entière.

L'inconnu s'était arrêté devant un pierre rectangulaire, et Ilya, qui s'était d'abord demandé ce qu'il pouvait bien faire devant un gros caillou, avait finit par comprendre que ce n'était autre qu'une pierre tombale. Et sa théorie fut vérifier lorsqu'elle le vit s'accroupir et l'effleurer de ses doigts, ce geste créant en elle un sentiment de culpabilité indescriptible.

C'était comme si le temps c'était arrêté. Pourtant le vent continuait de faire virvoleter les branches nues des  arbres et d'en frapper les troncs trop imposants. Ilya se sentit soudain très mal, d'avoir ainsi été témoin de la vie privé d'un homme qu'elle ne connaissait même pas. Elle ne voulait pas rester, mais ces pieds refusait de bouger, tandis que cette irrésistible et malsaine curiosité grandissait en elle. Qui était-il? Et sur qui pleurait-il? La mort n'avait jamais été un sujet qu'elle abordait à la légère, elle avait conscience qu'elle pouvait mourir à tout moment, demain comme dans quarante-huit ans. Et pourtant, ce fut comme une révélation, de le voir là,  si triste et si seul. Elle qui n'avait jamais connu la mort ne pouvait pas comprendre.

Sans un mot, l'inconnu se redressa, ce qui fit sursauter Ilya, et il prit soin d'essuyer ses yeux probablement humide. Et beaucoup plus lentement qu'à son arrivé, il continua sa route, tandis qu'Ilya s'était camouflé dans l'angle d'une maison.

Elle n'hésita que quelques secondes à peine et se dirigea rapidement vers la pierre rectangulaire que l'étranger avait précédemment observé. Son souffle se coupa. Bien qu'elle ne connaisse pas son nom, il resterait à jamais graver dans sa mémoire, comme si elle l'avait toujours admiré et aimé. Elle voulait partager la tristesse de l'inconnu. Ainsi, peut être se sentirait-il un peu moins seul.

Ilya renifla, le froid s'engouffrant dans la doublure de son manteau. Elle regarda le nom une dernière fois, et se surprit à imaginer la vie passé de la personne dans la tombe sous ses pieds. Une larme coula sur sa joue, comme une prière silencieuse.

Theresa Jones, je le rendrais heureux.