Benedict avait eu une journée épuisante. La promotion de son nouveau film et l'imminence de l'arrivée de la saison 4 de "Sherlock" l'amenaient à voyager dans tout le pays. Il était sans cesse sollicité pour des interviews, sans cesse invité à des émissions où tout était "trop" : les couleurs trop agressives, la musique trop forte, le présentateur trop énergique, le public trop joyeux pour que tout ceci soit réel. Aujourd'hui encore, il avait dû rire à gorge déployée, raconter des anecdotes, toujours les mêmes, et effectuer des gages stupides avec un faux sourire plaqué sur le visage. Il en avait la mâchoire endolorie et la voix enrouée. Comme chaque soir, ce n'était que lorsque Benedict s'était retrouvé dans un taxi aux vitres teintées, une fois l'agitation du show retombée, que toute la tristesse des derniers jours lui étaient revenus en mémoire et avaient assombri ses traits. Sa situation, insoupçonnable pour le public au vu de sa gaieté feinte des derniers mois, lui pesait douloureusement : il était engagé dans une difficile procédure de divorce - mais les procédures de divorces étaient-elles parfois faciles ? - avec la mère de ses deux enfants. L'ambiance à la maison était pesante ces derniers temps. Il était profondément triste de se séparer de cette femme qu'il avait tant aimé et aux cotés de laquelle il avait vécu sa fulgurante ascension, dans ce qu'elle avait eu de plus merveilleux mais aussi de plus cruel. Il poussa un profond soupir. Il n'avait pas envie de retourner chez lui, de se confronter aux regards noir de Sophie, de voir aux murs les photos radieuses de la petite famille qu'ils avaient construit à deux et s'apprêtaient à écarteler pour toujours. Ses trais s'étaient désormais complètement assombris et il arborait un air que ses fans ne lui connaissaient pas, loin de l'éclatant sourire qu'il réservait aux médias.
La pluie zébrait les vitres du taxi de mille traînées cinglantes, alors que résonnait dans l'habitacle la voix monocorde d'un journaliste à la radio. Au dehors, la nuit était tombée sans qu'il ne s'en rende compte. Benedict se sentit soudain affreusement et pathétiquement seul. Ce dont il avait besoin, tout de suite maintenant, c'était... Il ferma les yeux un court instant. Une bonne tasse de thé. Avec un nuage de lait. Et il savait exactement où trouver ça. Il frappa deux coups secs sur la vitre teintée qui le séparait du chauffeur de taxi. "Nortbay street, please !" apostropha-t-il son conducteur, qui acquiesça d'un discret signe de tête. La voiture s'engagea dans une étroite ruelle sans ralentir son allure, empruntant un trajet bien familier à Benedict. Quelques minutes, plus tard, dans un crissement de freins, elle acheva sa course dans une rue silencieuse, éclairée ça et là par de hauts réverbères qui faisaient briller le trottoir verni d'eau de pluie. La façade du salon de thé "Figgin's", au numéro vingt-sept, ne payait pas de mine : la peinture se craquelait par endroits et les inscriptions à la craie sur un tableau noir en devanture étaient passablement délavées. Mais Benedict poussa la porte de l'établissement sans une hésitation : il était familier du lieu. Tout contribuait à son atmosphère feutrée et moelleuse : les fauteuils en cuir usé dans lesquels on s'enfonçait plus que raison, le feu de bois qui crépitait dans la vaste cheminée centrale et les dizaines de tableaux aux murs, issus d'un autre temps, qui auraient été absurdes dans un autre contexte mais qui, ici, avaient parfaitement leur place. C'était le genre d'endroits où, sans qu'on ne sache vraiment pourquoi, on ne peut faire autrement que de parler à voix basse. Benedict s'y sentait parfaitement bien. C'était son petit plaisir secret, inconnu même de ses plus proches amis, un refuge dans lequel il aimait à passer des heures, enveloppé dans un silence ouaté dont seul Londres a le secret. Ça valait tous les plateaux télés du monde. C'était inestimable.
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Antidote
FanfictionLoin de ce que peut en voir son public, Benedict est un homme blessé par la vie. Mais une rencontre inattendue s'apprête à lui faire remonter la pente... Un véritable antidote à la mélancolie qui le ronge.