Chapitre 2

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Vous savez, rien ne change vraiment jamais. C'était toujours le même refrain. Même après quelques mois, même après quelques années. La peur était toujours présente, et il était impossible pour Elise de s'y habituer. 

Un an avait passé. Rien n'avait pourtant changé dans la vie de la fillette. Des allers-retours au parc, des journées à l'école, assise sur un banc, essayant de regarder sans les voir les enfants qui jouaient, les enfants qui criaient. Pourquoi criaient-ils autant ? Se demandait souvent Elise. Criaient-ils parce qu'ils avaient peur ? Non, ce n'était pas la bonne réponse. Elise avait peur, mais elle ne criait pas. Ou du moins, personne ne pouvait entendre son cri. Les autres enfants, eux, criaient à en perdre la voix, mais ils criaient si fort et si souvent que personne n'y faisait attention non plus, on leur demandait simplement de se taire un peu de temps à autre.

Pourquoi bougeaient-ils autant ? Pourquoi courir partout sans raison alors qu'il est possible de ne faire aucun mouvement, de rester immobile ? Leur excitation était palpable dans l'air, et cela étouffait Elise, elle ressentait les émotions de tout le monde en même temps, ça l'atteignait en la frappant, c'était par vagues, mais de plus en plus fortes, de plus en plus puissantes. Alors, elle ne devait rien ressentir, ni joie ni envie de rire, seule la peur avait sa place en elle.


"Elise, il est l'heure d'aller te coucher, murmura la mère de la fillette à son oreille.
- J'y vais, maman, répondit-elle."

Sa mère l'accompagna jusqu'à sa chambre, aida Elise à s'installer dans son lit, avant de lui souhaiter bonne nuit, ce à quoi la petite fille lui répondit par un sourire silencieux.

La lumière s'éteignit, et la porte claqua. Enfin, elle était seule. Enfin, elle pouvait arrêter de sourire, et laisser ses démons resurgir. Ils se dressaient tous contre elle, mais enfin, et comme chaque nuit, elle ne les avait plus dans sa tête. Ils sortaient. Ils l'affrontaient en face, ne se contentaient plus de lui murmurer des choses dans sa tête. Ils étaient là, furieux, dangereux, menaçants, et Elise les observaient dans l'ombre, les yeux plissés.

"Vous ne me faites pas peur, murmura-t-elle bravement."

Elle pouvait entendre des rires glacés, et dans ces rires, elle entendait les cris des enfants, le moteur des voitures, les sirènes de la ville, le grésillement des radios, et même les musiques qui passent à la télé. Elise décidait donc de boucher les oreilles. Elle se les bouchait fort, très fort, priant de toutes ses forces pour que tout cela cesse, pour qu'elle n'entende plus rien du monde, pour qu'elle puisse oublier l'anxiété qui ne la quittait jamais.

Mais en fermant les yeux, une image lui apparaissait. Non, c'était des dizaines, des centaines d'images superposées, c'était une foule impressionnante, et elle ne pouvait pas s'en échapper.

Elle aurait voulu crier, mais rien ne venait. Et de toute façon, elle n'aurait pas pu. Même si elle savait que c'était faux, que rien n'était réel, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur. Elle était tétanisée.

Ouvre les yeux.

Sous le choc, elle obéit. Elle ne savait pas qui avait parlé. Ce n'était pas elle, en tout cas. Et ce n'était pas non plus sa mère, ni même quelqu'un qui aurait pu se trouver dans sa chambre : la voix n'avait pas semblé assez réelle pour ça. Curieuse, elle regardait autour d'elle, mais ne vit rien.

"Qui es-tu ?"

Elle l'avait demandé d'une petite voix, effrayée que sa mère puisse l'entendre. Mais personne ne répondit. 

Qui es-tu ? Répéta-t-elle, dans sa tête cette fois.

Je ne sais pas, répondit la voix. Je ne suis sans doute personne.

- Comment peut-on n'être personne ?
- C'est à toi de me le dire. Qui es-tu, toi ? Pourquoi m'avoir imaginé ?

C'était une drôle de question, se dit Elise.

- Je m'appelle Elise. Et je ne crois pas t'avoir imaginé. Pourquoi est ce que j'aurai fait ça ?
- Et bien Elise, si tu l'as fait, c'est que tu en avais besoin.
- Je n'ai pas besoin de toi. J'ai des amis.
- Ah oui ?

Il y eu un silence. Non, Elise n'avait pas d'amis. Elle n'aimait pas les autres enfants, ils lui faisaient peur. Ils étaient trop heureux, ne voyaient pas le monde tel qu'il était, effrayant, différent.

- Donc, poursuivit la voix d'un ton amusé, que dirais-tu d'avoir un ami ?
- Je ne veux pas d'amis.
- Sais-tu au moins de quoi il s'agit ?
- Ils sont là pour jouer avec nous, et je n'aime pas jouer.
- Non, non, non, chantonna la voix. Ce n'est pas ça du tout ! Un ami est là pour t'aider, pour être avec toi, pour partager des choses avec toi, tout ça tout ça.
- Et pourquoi en aurai-je besoin ?
- Parce que tu as peur.
- C'est faux.
- Et eux ?

Les rires resurgirent, menaçants. Elise ne voulait plus les entendre, elle n'en pouvait plus.

Non...

- Laisse moi t'aider.
- Pourquoi ? Qu'est ce que tu peux faire contre eux ?
- Ils ne sont là que dans ta tête, petite Elise... Ils n'existent pour personne d'autre que toi. Tu les as rendu réels, alors qu'ils n'auraient jamais du l'être. Tu leur donne leur puissance, et ils l'utilisent contre toi. Je ne suis que ta création, moi aussi, mais si tu m'as appelé, c'est que tu as besoin d'aide. Laisse moi devenir ton ami, laisse moi t'aider à les vaincre.

C'est bien connu, il ne faut jamais adresser la parole aux personnes que l'on ne connaît pas. Elise le savait, sa mère lui répétait souvent. Mais de toute façon, elle n'avait jamais voulu adresser la parole à qui que ce soit. Aussi, elle s'étonnait elle même, du haut de ses jeunes années, de discuter aussi simplement avec quelqu'un. Quelqu'un ? Elle ne savait même pas s'il s'agissait de quelqu'un.

Ainsi donc, il ne faut jamais parler aux inconnus. Encore moins quand cet inconnu n'existe pas. Mais comment peut-on parler à quelqu'un qui n'existe pas ? Finalement, elle ne lui avait pas vraiment parlé. La parole, c'est quand on parle. Or, Elise ne parlait pas. Elle pensait, elle pensait de toutes ses forces, et après toutes ces années, quelqu'un lui répondait. Alors elle voulait lui faire confiance, même si elle ne le connaissait pas, parce qu'il savait quel était le problème, et qu'il avait sans doute un moyen de le vaincre avec elle.

- Comment t'appelles-tu ? Pensa Elise.

- Comment m'appellerais-tu ?
- Tom, répondit-elle sans hésiter.
- Tom ? Demanda la voix. Et bien, enchantée Elise, je suis Tom, veux-tu être mon amie ?

Un sourire étira les joues de la fillette.

- Oui Tom, je veux bien être ton amie."


Il ne faut jamais parler aux inconnus. Ni mêmes aux voies inconnues. Car même pleines de bonnes intentions, ça finira par faire mal. Le monde entier fait mal un jour ou l'autre, et est toujours plus douloureux lorsqu'on y est attaché.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 05, 2017 ⏰

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