6. BTP

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Fine, presque délicate, la fragrance de la mort s'insinuait dans les narines et s'agrippait aux récepteurs olfactifs jusqu'à qu'aucune autre odeur ne puisse la remplacer. Elle empoisonnait le corps et perturbait les esprits à tel point qu'elle les rendait fous. Elle était silencieuse, parfois belle, mais le premier contact avec elle s'effectuait toujours par le nez. Ereyne avait l'habitude de côtoyer cette odeur nauséabonde, Zelyan la portait comme un parfum. L'un allait rarement sans l'autre et aucun bain ne saurait faire totalement disparaître cette fragrance.

Ces siècles de proximité permirent à l'immortelle de deviner le charnier qui les attendaient, elle et le chien, un peu plus loin. L'étroit couloir rocheux fit place à une ruelle poussiéreuse qui débouchait au loin sur ce qui fut un jour une place. De grands immeubles d'une dizaine d'étages bordaient chaque côté de la rue. Ereyne se crut au beau milieu d'une ville qu'elle ne connaissait que trop bien, sur Terre. A vrai dire cela ne lui rappelait pas une ville en particulier, mais des dizaines de villes modernes dont elle avait vu les images en boucle sur les chaînes d'informations depuis que ces dernières existaient : les bâtiments éventrés où plus aucune vitre ne subsistait, les tas de gravats plus ou moins amoncelés... Et ce silence ! Ereyne avait débarqué au beau milieu d'une zone de guerre.

Le bruit sourd d'une roquette qui heurte le sol brisa le silence. Il provoqua l'élévation d'un nuage de poussière dans le ciel et agita la ville qui prit brusquement vie. Des âmes hurlèrent, d'autres sortirent de leurs cachettes et se précipitèrent vers le lieu d'impact. L'immortelle les suivit, ne sachant trop si elle optait pour le bon choix. Peu importe ce qu'elle allait découvrir là-bas, ce ne serait que mort et désolation.

Des âmes s'affairaient autour d'un pan d'immeuble tombé au sol. Elles étaient couvertes de poussière à l'exception de leurs casques d'un blanc éclatant.

— Dieu est-il donc si sélectif pour ne pas vous avoir acceptés parmi les siens ? murmura Ereyne à l'un des sauveteurs qui ôtait sans relâche des gravats.

Ereyne s'avança entre les âmes et se baissa afin d'observer de plus près l'ouverture d'où s'échappaient des gémissements de douleurs. Une âme, un homme, était coincé à peine un mètre plus bas. En tendant le bras Ereyne pourrait presque l'atteindre. Il suffisait d'ôter quelques brassées de bris et il serait libéré. Les sauveteurs continuaient leur travail encore et encore, ils s'éloignaient les bras chargés de gravats pour mieux revenir à la charge mais rien n'y faisait. L'âme demeurait toujours proche et inatteignable.

L'immortelle soupira puis recula, il n'y avait rien à faire. L'âme prisonnière passerait l'éternité à croire à sa libération et les autres étaient condamnées à tenter de le sauver sans succès. L'inaccessibilité était décidément l'une des tortures préférées de Zelyan.

— Ne me regarde pas comme cela, dit Ereyne au chien à trois têtes qui la regardait, tu sais bien qu'il n'y a rien à faire pour eux. Je ne peux pas sauver tout le monde.

— Cinq minutes ici et tu renonces déjà ? demanda une voix grave qu'Ereyne ne reconnaissait pas.

L'immortelle jeta un regard circulaire mais seules les âmes occupées à se torturer s'agitaient sans se préoccuper d'elle.

— En haut.

Ereyne leva ses pupilles grises et distingua enfin quelqu'un, assis sur le rebord d'une fenêtre. La créature, ce ne pouvait être un Homme, lui souriait largement. Ses longs cheveux argentés flottaient au gré d'une brise imaginaire. Il glissait un doigt ganté de noir le long de son odachi, une longue et lisse épée où perlaient quelques gouttes d'un sang écarlate. Il se dressa de toute sa hauteur puis sauta gracieusement au sol. Il atterrit un genou à terre puis se releva avec élégance. Il sourit à Ereyne alors que le chien remuait joyeusement la queue pour le saluer, signe qu'il l'avait reconnu.

Immortels 2 : PurgatoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant