Prologue

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Faubourg de Boston, 15 octobre 1956

Boston s'éveille tandis que j'émerge doucement d'un sommeil empli de songes étranges. Cette nuit, j'ai vu Ousamequin, le maître sorcier, mon mentor. Il était présent dans mon rêve. J'ai la certitude que c'était lui, mais si la vision de son visage était claire, le reste du songe ne l'était pas ou ne l'est plus maintenant. Il y avait quelque chose comme les aboiements furieux d'un chien et ce nom qui apparaît clairement encore dans mon esprit : Walnut Street. Je peux encore nettement me remémorer dans mon esprit l'image de ce panneau de rue.

Quant au reste du songe, un voile obscur me cache quelque chose ou quelqu'un. Le sens profond du rêve m'est donc inaccessible, me laissant ce goût dérangeant comparable à un mot que l'on cherche, que nous avons juste derrière le voile de la pensée, mais qu'on ne parvient pas à verbaliser.

Et depuis mon réveil tout cela me questionne et me plonge dans une étrange confusion.

Dans la perception de la réalité du sorcier, et ce depuis toujours dans la tribu des Massachusetts, le rêve est aussi important que le monde de tous les jours. C'est un univers avec ses codes, ses risques, ses révélations. Mais plus encore, c'est une réalité que nous, sorciers, pouvons vivre comme le monde réel. C'est une dimension où les choses, les personnes, les esprits nous parlent. Nous pouvons même choisir de modifier le rêve en nous entraînant. Il faut pour cela suivre un certain nombre d'étape ainsi que vivre une longue ascèse, mais de nombreuses choses sont possibles avec une pratique assidue. C'est l'Art de Rêver. Avant tout, Rêver est un moyen de communiquer avec le Grand Esprit. C'est une guidance, mais cela devient aussi une autre réalité, où l'homme peut évoluer, découvrir des secrets, guérir des gens. Cependant, ces mondes ne sont pas exempts de pièges ou de périls, loin de là...

C'est pour ça que Rêver est devenu ma seconde maison. J'y consacre une bonne part de mon énergie. Il y a deux grandes catégories chez nos sorciers-hommes: les Traqueurs et les Rêveurs. Je suis de la seconde. Je plonge chaque nuit dans cette autre dimension et rien ne m'a été épargné, la peur, le ridicule, l'errance, la colère, le vampirisme d'énergie par les entités de l'Autre-Côté. Il m'est arrivé une fois de ramener un mauvais esprit dans notre monde. J'ai alors cru devenir fou et j'ai frôlé la mort plusieurs fois, sans compter l'épuisement total que je subissais. Je ne m'en suis sorti que grâce à l'aide de mon mentor qui m'ôta les Ombres qui commençaient à ronger ma bulle d'énergie vitale et à s'attaquer à mon esprit. Il pu rassembler les parcelles de mon esprit qui s'était disséminé dans différents mondes. Mon moi s'était morcelé et je vivais dans une folie où notre monde était devenu poreux, dénué de sens. Je ne dormais plus, ne mangeais plus et mettais en danger autant moi-même qu'autrui. Ousamequin a travaillé trois jours pour me rendre entier à moi-même et me sortir de cet éclatement mental. S'ensuivit une purification obligatoire de mon appartement, vêtements, etc. à la sauge blanche brûlée ainsi qu'une hutte à sudation et un jeûne drastique sur sept jours. Puis, pendant plusieurs semaines je dus m'astreindre à de nombreux exercices de méditation pour rassembler et pacifier mon esprit que les attaques des démons avaient malmené.

Une autre fois, je n'avais pas respecté certaines règles élémentaires de prudence et je suis revenu ici très malade. J'étais jeune, mais je me souviens de la dure et âpre leçon que je reçus, comme si c'était hier. À nouveau, seul le chaman expérimenté qu'est Ousamequin permit de me guérir. On ne badine pas avec l'art magique de Rêver.

Ses souvenirs me font sourire. Je me prépare un bon café, ce qui est un nouveau luxe pour moi, tandis que je réfléchis aux possibilités qui s'offrent à moi ainsi qu'aux possibles messages cachés de ce songe, malgré le peu que j'ai pu voir. Je m'assois pour siroter mon café et plonge en moi pour faire le vide. Je prends conscience de mon souffle, je m'apaise.

Je sens intuitivement que je dois faire confiance à cette vision et que celle-ci me montre que je dois voir Ousamequin, sans attendre. Mon maître n'apparaîtrait pas aussi clairement sans raison au beau milieu d'un songe, d'autant plus que la tonalité de celui-ci est plus qu'étrange. Néanmoins, la prudence s'impose aussi car si lui était présent dans le rêve, certaines choses m'étaient voilées. Pourquoi ? Que veut-on me cacher ? Qui ou quoi y aurait intérêt ? Serait-ce moi qui suis fatigué ou sous l'emprise d'une quelconque magie noire ? Je me dis que je l'aurais sentie; à moins que je n'aie affaire à quelques puissants et subtils sorciers noirs...

Une brise légère soulève et fait tournoyer doucement le Dreamcatcher suspendu près de la fenêtre, tandis que les premiers rayons du soleil illuminent et purifient sa toile intérieure. 

Wakiza, le sorcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant