La voie de l'ombre

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La brume venait de prendre possession du village et chaque habitant s'était enfermé en sa demeure. J'étais l'unique source de vie à se mouvoir en cette place envahie par le silence ; j'étais l'unique histrion de cette pièces aux actes dépourvus d'utilité. Mes pensées étaient strictement réservées à l'inaccessibilité, prenant ici la forme d'un ange au cœur torturé ; elle était l'objet de ma métamorphose. Je m'asseyais au coté de mon double pour lui conter ma vision de la perfection :

« Vois-tu, mon ami, elle se tenait à quelques mètres de moi, habillée d'une longue robe blanche. Je cru tout d'abord à une hallucination provoquée par je ne sais quelle perturbation de mon esprit ; cependant, cette thèse fut réfutée par son sourire qui ne pouvait être que réalité. Il ne fallut alors qu'une seconde pour qu'advienne cette révélation : je n'appréciais ma solitude qu'en présence de son absence. Mes yeux étaient comme contrôlés par les mouvements de son corps ; je ne pouvais plus échapper à l'envoûtement de son parfum. Non loin de nous se produisait une danseuse pourvue de courbes ordonnant le respect aux hommes ; mais malgré celle-ci, je restais fidèle à la princesse des lieux ; elle était bien au-delà de la simple considération physique. Son aura transperçait ma chair pour venir réchauffer mon âme. Nul autre son que sa voix ne parvenait à mes oreilles ; tel était mon désir, et tel était le présent de ma bonne étoile. Me fallait-il rester là à l'admirer secrètement ? Ou était-il préférable que je me rapproche d'elle afin d'entamer la conversation ? Je choisis bien évidemment la première de ces solutions. Ses gestes et son attitude dénotaient un certain manque de confiance en elle, ce qui la rendait encore plus attachante. A ma grande surprise - qui n'avait pas lieu d'être - elle s'avança vers moi afin de prendre ma commande. Je ne parvins même pas à lui répondre immédiatement ; c'est te dire à quel point j'étais troublé. Malgré tout, reprenant légèrement le contrôle de mes sens, je lui demandais de me ramener un verre d'armagnac, le tout embelli d'un sourire que je tentais de rendre attrayant. Pour mon plus grand bonheur, la belle m'en offrit un bien plus beau ; un sourire qui avait la qualité de m'être intégralement adressé. A ce moment mon ami, je sentis la douceur des dieux imprégner l'espace qui m'entourait ; un sensation que je garderai pour toujours en mémoire. »

« Malheureusement, le coté éphémère de la chose donna également naissance à une profonde tristesse, car je savais le bonheur inaccessible. Elle s'éloigna alors sans me porter plus d'attention, amplifiant ainsi ce terrible spleen, rendant l'attente de son retour insoutenable. Et si je suis avec toi en cet instant, c'est parce que je ne la revis plus de la soirée. C'est une autre personne qui m'apporta l'alcool ; une personne charmante qui n'était simplement pas elle. Je ne bus même pas une gorgée de cette armagnac ; je pris seulement le chemin de la sortie et marchai jusqu'ici. » Mon double me regarda avec beaucoup de tendresse avant de me demander ce que je comptais faire maintenant. Je lui répondis en ces termes : « attendre la mort en compagnie de ce souvenir. »

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