On a parlé, j'ai été la voir – j'ai rien dit à la princesse, elle est restée bien au chaud à l'appartement, sans doute baignant dans l'inquiétude mais j'étais dans cet état où je voulais qu'on m'abandonne. Et j'ai marché, fui mon havre de paix et de violences dignes des stéréotypes les plus poussés, et j'ai atteint la zone et le confort du normal et du banal, qui rassurait par ses gens bien comme il faut. J'ai atteint la terrasse d'un petit café. Le genre de café normal, banal, devant lequel tu passes sans y passer. Un truc au hasard presque, qui faisait propre. Et elle est arrivée. Elle avait les cheveux plus longs que dans mon souvenir, toujours aussi blonds. Elle était toujours bien en chair, mais avec ces courbes harmonieuses et désirables. Mais ce qui me frappait chez elle, c'était ni le clair de ses cheveux, ni la désinvolture de son corps insolent, mais cette allure bourrée d'un espoir neuf, qui se permettait d'éclore. Quelque part, je m'en sentais responsable : c'était un espoir neuf qui recollait des illusions broyées. Et ce Dieu auquel je ne crois pas, il doit être le seul à savoir combien d'illusions elle en avait, l'autrichienne. Enfant gâtée, distinguée, fière et orgueilleuse, aussi élégante que cliché, elle se berçait de ce monde de guimauve où on se mouchait avec des dollars, des euros, des livres sterling, j'en sais rien moi. Où on claque des doigts pour avoir ce qu'on veut. Bref, elle était là, d'un pas pressé, de plus en plus nette et ça me prit comme une claque : ça faisait des années que je l'avais pas vue. Cinq, six, quelque chose dans ce goût-là. Je lui souris donc.
- Salut, Ion, me dit-elle en arrivant.
Elle avait l'air trop heureuse. D'un bonheur qui vous dégouline dessus. D'un bonheur qui pue les problèmes. D'un bonheur que je ne partageais que très, très partiellement. Je serrais puis humectais mes lèvres, me donnant l'air assuré que je n'aurais jamais vraiment.
- Salut, ça fait longtemps.
- Oui, assez. Que deviens-tu ?
Elle ne passait pas par quatre chemins. Je crois que je me suis fendu d'un rictus, avant de lui proposer de s'asseoir. Bon sang. Bon sang. Même ça, ça marchait pas. Même son espoir, son bonheur et ses illusions rafistolées, ça convenait pas. Ça coinçait, ça remplirait jamais vraiment le creux dans mon esprit, ce quelque chose qui marche juste plus.
- Oh, pas grand-chose. Et toi ...tu veux un café ?, Ai-je demandé avec légèreté.
Le seul truc léger pourtant, c'était mon porte-monnaie. Elle a accepté et je me suis demandé d'où ça sortait. Je veux dire, cette idée stupide. Cette rencontre impromptue. Cette mascarade. Et j'ai souri. On a parlé, de tout, de rien, d'avant, du lycée, et nos mots se teintaient de vide et de mélancolie. Elle était perdue dans sa nostalgie, peut-être qu'elle repensait à ces jours où on pouvait encore m'aimer, mais maintenant ça tenait plus debout. Je crois qu'il faut avoir une très basse estime de soi pour aimer les gens qui ne s'aiment pas, pas parce qu'ils sont modestes, non, mais parce qu'ils sont
les seuls à voir toutes leurs fissures. Et je crois que l'autrichienne et la princesse devaient être ou bien totalement inconscientes, ou bien totalement masochistes pour m'aimer comme elles le faisaient. Parce que oui, l'autrichienne, elle m'aimait, ça crevait les yeux, ça te surgissait à la tronche dès qu'elle parlait. Peut-être que c'était un amour tout neuf, rené des cendres de l'ancien, peut-être qu'il osait juste sortir d'une prison de bon sens, mais j'aimais pas ça. J'aimais pas ça parce que je faisais déjà assez de mal et je m'en voulais assez comme ça, de partir à la dérive. Pas la peine de m'éloigner encore plus d'une voie un tant soit peu stable.
- Et Warren ? Tu ne m'en as même pas parlé. Pourtant, tu tenais tellement à lui.
Ça ne devrait même pas t'étonner, qu'elle parle de mon meilleur ami de lycée, mais ça m'a serré le cœur, si fort, si tu savais. Bien sûr, toi, tu ne sais pas. Tu es je ne sais où dans le monde, loin des larmes de rage, de la frustration sale qui pave ma route. Donc, je lui ai souri.
- J'en sais rien. On a perdu contact. En fait, j'ai perdu contact avec beaucoup de monde.
Sauf la princesse, ce que je n'ai pas précisé. Tu sais, quand je te disais que j'ai mal viré, c'était aussi pour...Ce genre de choses que je tais exprès. Elle en a paru presque triste, mais je me doutais qu'elle devait toujours parler avec la sportive. Et pourtant, ça a semblé l'étonner. Je me suis retenu de faire le moindre commentaire sarcastique, et c'était si incroyable pour moi. J'en suis à un point, je t'assure. Alors on s'est revu après. Encore, et encore. Je crois qu'elle a voulu m'aimer encore plus, et m'entraîner là-dedans. Dans son monde guimauve où les garçons et les filles s'embrassent, se tiennent par la main et font des bébés pour faire des bébés, se marient dans un joli costume et une délicate robe toute en froufrous. Ou peut-être qu'elle avait mûri, et qu'elle voulait de moi que je lui rappelle que ce genre de choses existe, sauf que c'est pas ce que je pense, moi. Moi, je crois en ces ombres de la nuit, et le gris du matin. Mais j'ai souri, et dit deux trois paroles en l'air, ça l'a rendue heureuse je crois.
J'aimerais avoir cette insouciance malheureuse qui la secouait et qui rendait son sourire chatoyant. J'aimerais briller par un bonheur guimauve, aussi, mais je crois que je l'ai déjà assez dit comme ça : j'y arrive pas. J'essaie, j'le promets, comme je te l'ai promis, mais voilà, c'est pas facile.
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GERME NOIR
Short StoryIonas, Ion, Yon, enfant perdu qui a trop cru en celui qui s'en est allé sans le regarder. Ionas, Ion, Yon, qu'en a tellement dans le coeur, pas assez de courage pour l'avouer. C'est les autres qui prennent, parce qu'en lui pousse le germe noir qui a...