Jesse et Calvin

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JESSE

Pour la première fois de ma vie, je suis stressée. Dans un premier temps, j'ai cru à une gastro, mais non, ce n'est pas ça. Ne vous moquez pas.

Je n'ai jamais été dans cet état et pour cause, je n'ai jamais fait de cadeau à personne. Pas depuis la disparition de ma famille. Avec la naissance des enfants et grâce à la thérapie de groupe qui a dissipé une grande partie de ma culpabilité, j'arrive à penser à eux sans être envahie par les ténèbres. Ils ne font que me frôler mais je tente d'être plus forte que tout ce ramassis de conneries qui ne me quittera jamais. Je vis avec. Comment faire autrement ? Impossible. Il faut vivre avec ses démons.

Pour en revenir à ce cadeau, j'ai eu du mal à trancher. Mais je ferais n'importe quoi pour lui. Calvin, bien sûr. L'homme que j'aime. Il a toujours été là pour moi et patient. Dans les bons et les mauvais moments. Il ne m'a jamais lâché la main. À aucun moment. Pourtant je l'ai mérité tellement de fois.

Aujourd'hui, journée spéciale, je me suis levée très tôt et... ben tout simplement je me suis mise aux fourneaux. Ce n'est clairement pas moi de me comporter en femme d'intérieur. J'ai l'impression d'être une caricature de femme au foyer. C'est bon pour une fois. Je n'y prends pas de plaisir particulier à oeuvrer en cuisine même en me disant que c'est pour faire plaisir à ma famille. Rien que le mot m'électrise. J'ai fondé une famille. Drôlement improbable il y a peu, c'est pourtant désormais mon quotidien. Je ne m'en plains pas. J'aime mon homme et mes enfants.

Avec tout ça, j'ai oublié de vous parler du cadeau pour Calvin. Que pouvais-je lui offrir ? Il a tout. Une voiture, une moto, une affaire qui marche très bien et j'en passe. J'ai donc décidé de me comporter et de m'habiller en parfaite femme d'intérieur. Je me sens ridicule au possible avec ce serre-tête de bourge coincée, ce chignon trop serré qui me compresse les neurones, ce tablier rose et parfait qui me sort par les trous de nez, ces chaussures à talon de merde, ce tailleur qui me gratte et que j'ai envie de balancer. Pourquoi j'agis de la sorte ? Nouvelle lubie, je ne sais pas d'où ça vient. Je ne veux tout simplement pas que Calvin se lasse et m'envoie balader moi et mon caractère de chien.

Trop tard pour changer de tenue, j'entends les pas de Calvin se rapprocher. Dans tous les cas, garder son calme et sourire. Je me suis entraînée dans le miroir pour que ça fasse vrai alors que l'on ne vienne pas me casser les pieds. À vrai dire, j'ai failli avoir une attaque la première fois que je me suis regardée esquisser un sourire dans le miroir. J'aurais dû me prévenir au préalable. J'ai trouvé ça surnaturel.

Je m'attends à le sentir plaqué contre mon dos comme tous les matins mais les secondes défilent et rien ne vient. Je pivote et le vois me regarder en haut en bas comme s'il tentait de résoudre une équation à trente inconnues. Ça n'existe pas, ne menez pas votre enquête, c'est juste pour bien situer le décor.

Les yeux plissés à la recherche de je ne sais quoi, il zigzague dans la cuisine, soulevant tout ce qui se trouve à portée de main. que cherche-t-il ? Et depuis quand il ne vient plus vers moi ? Arrivé à ma hauteur, il pose ses mains chaudes sur ma taille, me soulève comme une plume pour me poser à côté et met les poings sur ses hanches, le sourcil froncé.

Saleté.

- Quoi... Enfin, je veux dire, bonjour mon chéri, tu as bien dormi ?

- Qu'est-ce que tu fous ?

- J'ai préparé un petit déjeuner en famille.

- Je vois bien. Je veux dire c'est quoi cet accoutrement ? Tu vas au carnaval ?

Enfoiré !

Je garde mon masque de femme impassible et souriante en ne perdant pas de vue que je dois rester calme aujourd'hui. Tout ce qui se dira sera vite oublié jusque minuit mais aura des explications à fournir demain.

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