Blackbird

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De près, le pont de Banpo était encore plus beau. Les gens étaient admiratifs devant les couleurs qui s'envolaient dans le ciel au même titre que l'eau qui s'engouffrait dans la rivière 20 mètres plus bas. Oui cette fontaine était source d'admiration y compris la mienne. Elle était imposante, puissante mais tout autant délicate, gracieuse et belle. C'était beau. Tout était beau.

Nous marchions côte à côte sur le pont, silencieux, depuis que nous étions partit de la maison de Jin. Mais ce silence n'était pas pesant, il était paisible, tranquille car nous partagions une même passion : celle de la beauté. Nous aimions la beauté du pont de Banpo, celle de l'eau colorée qui disparaissait dans les profondeurs, celle de Séoul qui s'endormait un peu plus chaque seconde, même celle que nous partagions l'un pour l'autre. Bien plus qu'une beauté physique, c'était celle de nos histoires réunies qui nous passionnaient.

Lorsque je le regardais, je voyais la lueur de ses yeux briller de passion à la vue de l'eau violette. Il semblait dans un monde bien lointain où seule la beauté régnait. Où seuls, les objets, les paysages, les personnes, les discours les plus beaux attiraient son attention. Est-ce que je devrais me sentir flatté qu'il ait voulu joindre nos deux mondes pendant un court instant ? Je pense que oui. Car si mon monde rencontrait un univers comme le sien, ou même plus, si son histoire avait fait en sorte de rencontrer la mienne, c'était comme dire que mon univers était beau ou du moins, qu'il y ait une richesse assez importante pour que son histoire puisse vouloir d'un quelconque lien avec la mienne. Comme si, V voulait enrichir de beauté son histoire et qu'il cherchait, ici et là, des mondes à la hauteur de ses attentes. Alors oui je devais me sentir flatté que mon monde soit assez beau pour partager son univers à lui.

Finalement j'arrivais assez bien à lire en lui. Ou peut-être seulement me trompais-je ? Car si j'approfondissais, pourquoi ne pas vouloir partager plus qu'une simple nuit ? Là était le côté plus sombre à tout cela. Est-ce que, après avoir embelli son monde grâce au mien, le sien n'en ressortirait que plus beau alors que le mien en perdrait toute sa magie ? Comme si, en joignant nos histoires, la mienne deviendrait sans valeur après avoir perdu son éclat ? Alors il partirait encore plus beau, à la recherche d'une nouvelle beauté à dérober pour qu'elle finisse à son tour par s'éteindre ?

J'avais l'air d'un fou qui cherchait chaque facette de ce « V » mais qui commençait à paranoïer. Mon esprit semblait chamboulé depuis notre rencontre et je me faisais des fausses idées sur l'inconnu à mes côtés. Alors juste, devrais-je profiter de cette seule et unique soirée?

La vue était tellement incroyable. J'étais un véritable fou de ces paysages monumentaux pourtant, je vivais dans un modique appartement. Je détestais la vue à l'extérieur. C'était laid. Mais lorsque venait le soir, quand la nuit tombait, que les objets extérieurs ne recevaient plus de lumière, qu'ils étaient brouillés, cachés, effacés par la noirceur de la nuit, la laideur disparaissant et la beauté naissait enfin. Alors je veillais, tard le soir, à observer ce que la nuit créait. Le soleil éclairant ces objets immondes, la lune éclairant ces mêmes objets mais qui soudain, paraissaient magiques. Plus généralement, était-ce la nuit qui était belle ou les paysages qu'elle transformait ?

Et ce soir, la nuit- ou le paysage plongé dans la nuit- était toute spécialement belle. La lune était immense, ce n'était pas une pleine lune mais presque. Je voyais du coin de l'œil V qui me regardait observer la source de lumière. Alors il tourna la tête, et nous regardâmes l'astre de nuit, ensemble, côte à côte, toujours silencieux.

-C'est la nuit ; ou c'est le paysage ?

J'avais parlé sans même m'en rendre compte, laissant un sens presque illogique à ma phrase. Je voulais lui demander si pour lui c'était la nuit ou le paysage transformé qui était beau. Mais comment pouvait-il comprendre si je ne finissais pas mes phrases ? Je m'apprêtais à me reprendre lorsqu'il me devança.

Things Always come in Threes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant