L'arrestation de Bellatrix

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Je n'ai pas parlé à mes sœurs depuis près de dix ans. Mais quand je lis l'article dans la Gazette ce matin-là, je manque de m'étouffer sur mon thé. Moi qui croyais que c'était terminé, que les décès malheureux des Potter avaient signé la fin de ce début de guerre, que la disparition de Vous-Savez-Qui marquait le retour à la normalité. Voilà que Bellatrix – ma propre sœur, avec qui j'ai grandi et fait toute mon enfance et ma jeunesse – avait torturé à la folie deux Aurors innocents.

Je crispe les mains sans m'en rendre compte, et le parchemin du journal se froisse sous mes doigts.

— Andromeda, ça va ?

Je sursaute, puis souris à mon mari.

— Oui, oui, Ted. Juste, euh... Tu peux garder Dora aujourd'hui ? Je viens de me souvenir, je dois aller en ville.

Ted hausse les sourcils, mais hoche la tête. Il me fait assez confiance pour ne pas s'inquiéter, ne pas me poser de questions. Il sait que je finirai par lui parler, tout lui raconter, quand je m'en sentirai le courage. Pour le moment, il sent que j'ai quelque chose à régler par moi-même.

Dix minutes plus tard, après avoir embrassé mon mari et ma fille et leur avoir souhaité une bonne journée, j'apparais dans la cheminée du Chaudron Baveur. Tom me lance un regard en biais alors que je traverse la taverne presque vide vers le mur qui cache le Chemin de Traverse. Je ne sais pas consciemment où je me dirige, mais mes pas me guident sans hésitation vers l'allée des Embrumes.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me retrouve devant L'Orage, le bar préféré de Bellatrix depuis qu'elle a l'âge légal – et même un peu avant, probablement. J'essaie d'apercevoir quelque chose à travers les vitres sales de la devanture, mais il n'y a rien à faire. Je n'y ai pas mis les pieds depuis l'anniversaire de vingt ans de ma grande sœur, mais quelque chose me pousse à visiter cet endroit aujourd'hui, alors je pousse la porte et entre dans le bar sombre.

En cette heure matinale, il est encore plus vide que l'était le Chaudron Baveur. Le barman est endormi derrière le bar, sa chaise se balançant de façon précaire sur les deux pattes de derrière, menaçant de s'effondrer à tout moment, et seules deux tables sont occupées. La première, près de l'entrée, par trois vieillards qui sirotent une tasse de café – probablement mêlé à un peu de whisky – comme s'ils prévoyaient passer la journée là. Et au fond une jeune femme solitaire. Je souris en la reconnaissant et m'approche d'elle.

— Narcissa, dis-je en arrivant à la table. Bonjour.

La blonde lève la tête, mais ne montre aucun signe, ni de plaisir ni de déplaisir. Elle ne fait que me regarder dans les yeux sans sourire, jusqu'à ce que je prenne place face à elle. Dans le moment de silence qui s'ensuit, je me racle la gorge, puis demande :

— Ça va bien ?

Narcissa hoche la tête, une fois.

— Lucius aussi ? Drago ?

Je n'ai jamais rencontré mon neveu, mais ai eu vent de la grossesse de ma sœur, puis de la naissance du garçon, par des connaissances interposées. J'ai envoyé une carte de félicitations au manoir Malefoy, à l'époque, mais n'ai jamais reçu de réponse. Je n'ose pas aujourd'hui demander si celle-ci a bien été reçue.

Ma sœur hoche encore une fois la tête. J'attends quelques secondes sans rien dire, mais Narcissa ne me retourne pas la question, ne me demande rien sur moi, sur Ted ou Nymphadora. Je soupire dans ma barbe. Je ne sais pas à quoi je m'étais attendu.

— Tu as entendu pour Bellatrix ? demandé-je alors, entrant dans le vif du sujet.

Pour la première fois, Narcissa ouvre la bouche :

— Bien sûr, dit-elle sèchement. Je le sais depuis hier après-midi.

Je cille. Pourquoi n'y ai-je pas pensé avant ? Bien sûr que Narcissa n'apprend pas – plus – ce genre de nouvelles par les journaux. Pas depuis que son mari est devenu...

— Et est-ce que tu es...

Je m'interromps, incertaine de comment terminer la question. Incertaine de ce que je veux savoir. Les lèvres fines de Narcissa s'étirent en un sourire moqueur.

— Si je suis quoi ? demande-t-elle. Contente ? Fière ?

Elle serre les mains autour de son verre et se penche au-dessus de la table, approchant son visage du mien.

— Ou peut-être préférerais-tu que je sois désolée, dégoûtée, dépitée.

Je baisse les yeux, sentant le rouge me monter aux joues. Je ne sais pas quoi dire.

— J'étais triste, quand tu es partie, tu sais, continue Narcissa. J'ai eu l'impression que ma grande sœur adorée m'avait abandonnée. Mais depuis, j'ai grandi. J'ai vécu. Et j'ai trouvé ma place dans le monde. La place qui m'est due, et que tu aurais pu partager avec moi si tu avais pris moins de mauvaises décisions.

Je lève alors un regard dur. Je ne reconnais plus ma petite sœur, je ne réconcilie pas cette femme dure et sèche avec la petite blondinette qui m'écoutait avec des étoiles plein les yeux les premières fois que je lui parlais de Ted, à Poudlard. Elle semble lire tout cela dans mes yeux, et ne fait que hausser les épaules avant de sortir sa bourse. Elle dépose avec un claquement une mornille et quelques noises sur la table de bois, à côté de son verre vide.

— Eh bien, je dois y aller, dit-elle en se levant. Lucius m'attend au manoir. Je ne sais pas ce que tu espérais en venant ici, mais je doute que tu l'aies trouvé.

Je secoue la tête.

— Je ne pensais pas que tu aurais autant changé.

— Le changement n'est pas toujours une mauvaise chose, répond-elle en se levant. Encore aujourd'hui, il n'est pas trop tard pour que tu l'apprennes.

Alors qu'elle s'éloigne, je dis :

— Je n'aurais jamais cru que tu ressemblerais autant à Bellatrix un jour.

J'ai parlé à voix basse, elle ne m'a peut-être pas entendue. Mais je vois son dos se raidir, son pas avoir une infime hésitation.

Je souris.

Elle n'a peut-être pas autant changé qu'elle le prétend.

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