J'étais né dans un monde dépourvu de lumière et d'espoir. Je n'avais jamais vu le soleil. A vrai dire, cela faisait bien des siècles que plus personne ne l'avait vu. Ma ville, comme tout le reste du monde, était constamment plongée dans un épais brouillard. Si de jour il était possible de voir au delà de quelques mètres, de nuit il était impossible de discerner ce qui se trouvait devant soi, sans l'aide d'une lanterne. Personne ne savait d'où provenait cette brume, pas même les anciens qui affirmaient pourtant tout connaître de cette terre. Tout n'était que spéculation. Une partie des gens se disait que ce brouillard avait été envoyé par le dieu Soleil pour punir les hommes de leur avarice. Une autre se disait que cette brume était le résultat de la bêtise des humains d'avant, alors que d'autres affirmaient que cette brume était le début de l'apocalypse décrite dans le livre de la Croix.
Moi, je ne me disais rien, je n'avais même pas le temps de penser a tout ca, j'étais bien trop occupé à travailler, à chercher de quoi me nourrir et à éviter la mort qui se cachait dans cette brume; peu importe la forme qu'elle avait. Les gens aimaient se dire que la ville était un endroit sûr et que l'on pouvait y vivre normalement, mais tous savaient que ce n'était que mensonge. Meurtre, famine, disparition, vol, viol tout ca n'était que monnaie courante ici. Sans parler des maladies transmises par le brouillard, l'eau stagnante des égouts qui ruisselle entre chacune des dalles des ruelles, ou même de cette abondance de rats que tout un chacun avait déjà mangé pour assouvir sa faim.
Pour moi, tout cela n'était que des détails parmi tant d'autres. Je passais une grande partie de mes journées en dehors des murs de ma ville, à la recherche de ferrailles ou composantes laissés par les anciens humains. J'étais un "trouve-rouille", un de ses gamins que l'on envoyait dans les landes à la recherche d'objets a vendre. Il n'y avait pas beaucoup d'adulte "trouve-rouille", les seules adultes qui s'aventuraient dans les landes étaient les chasseurs, les fermiers, les pêcheurs, les soldats ou les exilés. Mais aucun d'eux n'avaient à s'aventurer aussi loin de la ville que nous. Ce travail que nous faisions au péril de nos vies étaient extrêmement mal payé. Nous étions payés par artefact, mais, au plus proche de la ville, il ne restait plus rien de valeur si ce n'était ces quelques objets que les chanceux trouvaient et échangeaient pour quelques pièces; juste assez pour se nourrir une semaine de plus.
C'est là que se trouvait tout le dégueulasse de notre société. Tout le monde était égoïste et les égalités n'existaient pas. J'étais né pauvre. Ma mère était une putain et mon père probablement un de ces bons à rien de soldat. Je ne l'avais pas connu et je n'en avais jamais ressenti l'envie. J'avais grandi avec ma mère. Elle ne m'avait jamais appris à lire ou à écrire, elle n'en avait pas le temps. Elle était bien trop occupé à se faire baiser et à me battre. Je ne m'en plaignais pas trop; j'avais un lit et assez de nourriture pour ne pas mourir de faim. Je n'avais pas d'affection pour ma mère. Je ne l'appréciais pas beaucoup mais je ressentais beaucoup de pitié pour elle. Elle était constamment ivre, recouverte de bleu ou alité à cause d'une quelconque infection veineuse.
Elle m'avait eu a vingt an quand elle était encore belle fille. J'avais hérité de ses yeux gris et probablement de la chevelure brune de mon père car elle était rousse. Je n'avais pas de famille si ce n'était ces autres filles du bordel qui s'étaient occupées de moi quand ma mère travaillait. D'elles je ne garde qu'un faible souvenir sans goût ni couleur. J'avais beau avoir quelques brides de cette époque en mémoire mais je ne savais pourtant dire si j'étais heureux, ou même si je l'avais déjà été ou encore si quelqu'un, mis a part ces riches marchants et comptables, l'avait déjà été.
Un jour, alors que je devais avoir douze ans et que je travaillais déjà en temps que chaumier, ma mère me donna à un client auquel elle avait emprunté de l'argent et qu'elle n'avait pas su rembourser. Ce fut le dernier jour où je la vis et cela ne me fit ni chaud ni froid; je pensais déjà la quitter depuis bien longtemps. Le client à qui elle m'avait donné me battait aussi, probablement plus violement qu'elle. Il me faisait travailler jour et nuit en temps que boy jusqu'à ce que je fus en mesure de rembourser la dette de ma mère. J'avais travaillé chez lui pendant trois ans. C'était un tanneur, marié et père de deux enfants. Ils avaient la belle vie, du moins, ils mangeaient à leur faim au moins trois fois par semaine.
Quand j'avais quitté sa maison, je m'étais directement mis à la recherche d'un travail. Cependant personne ne voulait engager un garçon de bientôt seize ans qui ne savait qu'à peine lire ou écrire. J'aurais bien aimé rentrer chez le tanneur, mais nous ne nous entendions pas. Personne dans cette maison ne m'appréciait; mis a part sa femme. Une femme ronde pleinement vouée à l'église de la croix. C'était probablement la seul personne à m'avoir apprécié et pourtant sa présence me répugnait. Je ne comprenais pas d'où les gens de la croix trouvaient la force de sourire même dans le désespoir le plus complet. Elle relativisait constamment et cherchait toujours le bon dans le mauvais, comme si elle essayé éperdument de se mentir afin d'oublier la vérité. Cette optimisme constant était probablement la plus grande source de faiblesse qu'un homme pouvait avoir.
Ne trouvant aucun travail et ne pouvant rentrer chez le tanneur il ne me restait plus qu'à rejoindre l'armée mais c'était impossible car je n'étais pas instruit. J'aurai pu me rendre chez les prêtres du soleil ou de la croix mais je ne voulais pas m'abrutir avec ces foutaises de religion et encore moins me faire diriger par eux; par conséquent la seule option qui me restait était de devenir "trouve-rouille". Je m'étais depuis longtemps aperçu que je n'aurais jamais la chance de penser à mon future et que je devrai vivre au jour le jour. Mais en devenant "trouve-rouille" même vivre au jour le jour devenait dépourvu de sens. La ville dans laquelle je grandissais était bien trop sordide pour que qui que se soit grandisse et devienne une personne respectable. De nuit, mise à part les putains, leurs clients, les voleurs et les violeurs, personne ne sortait. Il faisait bien trop noir et le brouillard pouvait abriter n'importe quoi. Il n'était pas rare d'apprendre qu'un viol avait eu lieu ou que quelqu'un avait été assassiné pour une quelque raison. D'ailleurs je n'avais jamais vu quelqu'un s'étonner en apprenant qu'une de ces choses étaient arrivées, pas même un soldat, un prêtre ou un passant. De plus, les corps restaient souvent à l'endroit où on les avait trouvés; à pourrir et à engraisser les rats qui serviraient, plus tard, de nourriture à un quelconque affamé.
Malgré toutes les atrocités de la ville, sa perversion et sa dangerosité n'égalait en rien celles des Landes. Les fermiers et les pêcheurs qui y vivaient, n'avaient pas vraiment à se soucier des dangers qui se cachaient dans le brouillard. Ils vivaient dans des petites agglomérations directement sous la tutelle de l'armée qui n'était là que pour créer un semblant de protection. Les vendeurs ambulants, les groupes religieux ou les voyageurs qui s'aventuraient dans les landes n'avaient pas la chance de pouvoir voyager accompagnés de l'armée et même s'ils pouvaient se payer les services de l'armée, ce qui se tapissait dans le brouillard avait déjà eu raisons d'escadrons entiers.
Quand je me fis engager entant que "trouve-rouille" je savais éperdument ce qui m'attendait a l'extérieur des murs de la ville. je n'avais pas peur des briguants, des cannibales ou des pilleurs. Il y'en avait aussi dans ma ville. Ce que je redoutais le plus était les créatures du brouillard. J'avais si peur que je passai d'ailleurs toute la nuit d'avant ma première exploration à vomir ce que j'avais mangé la veille: du pain rassis, du rat brulé et une eau presque potable. Si pour certains risquer sa vie pour récupérer des objets et des artefacts rouillés, cassés et délabrés de l'ancien monde était ridicule, pour ceux qui n'en avaient pas le choix, ça l'était encore plus. C'était même d'un ridicule à en perdre la raison. Je faillis d'ailleurs sombrer dans la démence à plusieurs reprises. Jamais je n'avais vu la mort d'aussi près. Elle était partout, bien plus présente que dans ma ville. Tout n'était que désolation, dépravation, silence et horreur. Je ne croyais pas en l'existence des dieux, mais si il y'en avait eu un, il devrait sûrement avoir péris ou disparu il y'a bien longtemps car les Landes n'étaient dirigées que par le chaos.
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Le monde sous les brumes
Science FictionLongtemps après la troisième grande guerre, quand Dieu nous abandonna et que les brumes se répandirent sur terre, quand tout n'était que mort, haine, désolation et dépravation, que le bonheur n'était accessible que par égoïsme et que le mot humanit...