A l'intérieur

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J'attends.
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là.
Au début, j'essayais de compter les heures, les jours.
Mais il n'y a rien ici.
Rien pour me repérer.
Cela pourrait faire six heures, six semaines, six ans que je suis enfermée.
Comment le savoir...
Il n'y a pas de fenêtre dans ma cellule.
Pas de bruit non plus, aucune présence humaine aux alentours.
Je n'ai pas la moindre idée d'où je me trouve. Probablement dans une cave.
Vu l'humidité qu'il y a, je sais juste que ma prison doit se trouver profondément sous terre.
Quelquefois, il y a du mouvement.
Sous ma porte, je vois un peu de lumière filtrer.
Et j'entends des pas.
Mais cela ne dure jamais très longtemps.
Au début, quand je me suis réveillée ici, toute seule, j'avais peur.
Peur de ces pas qui se rapprochaient de moi. Peur de ce qui allait se passer une fois la porte ouverte.
Mais jamais ils ne sont venus à l'intérieur.
Jamais je n'ai entendu leur voix. Jamais je n'ai vu leurs visages.
Dans un premier temps, ça m'a rassurée : au moins, on me laissait tranquille, personne ne me faisait de mal.
Mais au fil du temps, c'est devenu insupportable. Cet ennemi invisible, prêt à frapper à tout moment lorsque vous êtes le plus vulnérable.
Par deux fois, j'ai entendu les monstres venir chercher les âmes damnées enfermées dans des geôles proches de la mienne.
La première fois, à ma gauche.
La seconde fois, à ma droite.
La lumière sous ma porte s'est allumée, j'ai entendu les bruits de pas et quelques instants plus tard, un bruit effrayant qui s'échappait de ce silence morbide.
Un hurlement inhumain, bestial, un appel au secours désespéré.
Puis plus rien.
Le néant.
Par deux fois j'ai entendu cela.
Cela et plus rien d'autre.
Je n'en peux plus.
Je pense à toi pour me donner du courage.
Je m'imagine tes traits, ton sourire, ton regard.
Tes yeux couleur d'orage.
Je me souviens très bien de la première fois où je les ai vus, ces yeux-là.
C'était le soir. J'étais dehors et je marchais.
C'était une soirée magnifique mais je n'y prêtais aucune attention.
Je marchais le long du pont, longeant le rebord donnant sur le lac.
Puis, arrivée où je voulais, j'ai escaladé ce ridicule bout de mur et je me suis assise tout au bout.
Tout était parfait.
Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais bien, sereine.
Le lac brillant des milles reflets du coucher de soleil m'attirait comme un aimant.
Et tu es arrivé.
Tu m'as empoignée très fort et j'ai sursauté.
Je me suis retournée et c'est là que mon regard a rejoint le tien pour toujours.
A peine une minute auparavant, je pensais avoir enfin atteint une forme de délivrance.
Comme je me trompais.
La vie à tes côtés était pleine de saveurs et d'imprévus.
Tu m'as réappris à aimer les choses simples du quotidien.
A profiter du moment présent.
J'étais heureuse, certainement pour la première fois de ma vie.
Et maintenant me voilà ici.
Prisonnière.
Je voudrais tant que tu sois là, que tu viennes me sortir de cet enfer.
Mais je sais bien que ça n'arrivera pas.
Je vais devenir folle.
Je crois que je le suis déjà.
Mais voilà que j'entends à nouveau ces maudits bruits de pas.
Et la lumière arrive depuis sous ma porte.
Cette fois ILS viennent pour moi, je le sais, je le sens.
Alors je ferme les yeux et j'essaye d'apercevoir ton visage une dernière fois à travers mes paupières closes.
La porte s'ouvre, grinçante.
Et je me mets à crier à mon tour.

Adieu mon ange.
Je t'aime.

Fin

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