Chapitre 1 [1]

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Quel bordel !

Vous voyez un cirque quand il s'installe dans une nouvelle ville ? Eh bien voilà. Pareil. Ou pas loin. Sauf qu'au lieu d'éléphant et de girafes, il y avait des caméras et des micros. Et, au lieu de clowns, de cage et de fil pour jouer les funambules, il y avait des assistant de production, des semi-remorques et des mètres et des mètres de câbles gros comme le bras. 

Ça tenait un peu de la magie cette arrivée. Une brusque apparition comme surgissant de nulle part, si vite que même ceux qui s'y attendaient avaient été prit de court. Et, en voyant tout Henley déferler pour assister au spectacle, même les plus blasés de l'équipe de tournage n'avaient pu s'empêcher de ressentir un petit frisson, une sorte de courant électrique qui semblait courir à travers toute la ville. Ils avaient l'habitude de tourner en extérieur, pourtant, à Los Angeles ou a New York : des mégapole où les locaux n'étaient que trop contents de les laisser tranquilles et se tenaient à distance respectueuse, tout en maudissant les bouchons et la disparition des places de parking, secouant la tête devant ces maudits spots qui faisaient tellement de lumière qu'on ne savait même plus si c'était le jour ou la nuit. Il est des endroits dans le monde où le tournage d'un film n'est qu'un mauvais moment à passer, une simple parenthèse dans la vie réelle. Mais Henley (Maine) n'en faisait pas partie.

On était en Juin. Il y avait donc pas mal de gens qui s'étaient rassemblés pour suivre le déchargement des camions. La population de la ville montait et baissait comme les marées. Pendant l'hiver, on claquait des dents dans les boutiques vides, se pressant les uns contre les autres pour lutter contre le froid glacé venu de la mer. Mais, dès que l'été se pointait, le nombre d'habitant était multiplié par quatre ou cinq et les boutiques de souvenirs, les cottages à louer et les Bed and Breakfast, qui se succédaient le long de la côté, ne désemplissaient pas. Henley était comme une sorte de gros ours qui hibernait: dormant durant les longs hivers pour se réveiller tout les ans à la même période.

J'avais toujours redouté ces genres d'événements, et aujourd'hui, alors même que j'essayais de me frayer un chemin entre les attroupements de tous ces badauds agglutinés sur la place, la raison de cette allergie m'apparaissait plus flagrantes que jamais. Durant la morte saison, la ville m'appartenait. Mais en ce jour torride de début juin, les touristes revenaient me la voler et cet été serait pire encore. Parce que cet été, en prime, il y aurait un film. Un vol de mouettes vira de bord au dessus de ma tête et, au loin, la cloche d'un navire se mit à tinter. Je me hâta de dépasser les curieux pour s'éloigner au plus vite des cars aménagés, désormais alignés le long du quai comme des roulottes de forains. Il y avait dans l'air une odeur de poisson frit dès que je m'approcha du plus ancien restaurant de la ville : Le casier à Homard. Le propriétaire Gabriel Skins mais aussi mon meilleur ami, s'encadrait dans la porte, appuyé contre le chambranle, surveillant l'agitation à l'autre bout de la rue comme l'aurait fait son père avant. 

- C'est un peu l'hystérie hein ?

Je m'arrêta pour suivre son regard. Au même moment, une longue limousine noire glissa en direction du plus grand chapiteau, escorté par un van flanqué de deux motos. 

- Et des photographes maintenant ! Rage t-il. Il manquait plus que ça !

Je ne pût m'empêcher de froncer les sourcils en voyant la portière de la limousine s'ouvrir et les flashes crépiter. Gab soupira.

- Je n'ai qu'une chose à dire: ils ont intérêt de venir goûter à nos homards !
- Et de mes glaces. Souriais-je.
- Exactement ! acquiesça t-il, en désignant mon tee-shirt blanc avec mon nom brodé sur la poche. Et de tes somptueuses glaces.

Je lui fais un clin d'œil avant de presser le pas jusqu'à la petite devanture bleu ciel à auvent blanc barré d'un SPRINKLES de couleur noir, j'avais déjà dix minutes de retard. Mais pas la peine de s'inquiéter : la seule personne à m'attendre dans la boutique n'était autre que Jess -ma mère- la meilleure propriétaire que la terre ait connu. Debout derrière le comptoir, elle feuilletait un magazine. 

A peine la clochette tintinnabulait au dessus de la porte qu'elle me décrocha un sourire réconfortant. A l'intérieur, il faisait merveilleusement frais et il flottait comme un parfum de barbe à papa. Chaque fois ça me faisait le même effet : il y avait quelque chose qui me projetait en arrière, je n'avais que quatre ans quand ma mère et moi avions emménagé ici. Après le long trajet depuis Washington, la voiture pleine à craquer et du pesant silence qui y régnait à cause de tout ceux à quoi nous avions dû renoncer, on s'était arrêtées dans le bourg pour demander la direction du cottage qu'on avait loué pour l'été. Ma mère avait tellement hâte d'arriver, de mettre un terme à ce voyage qui avait commencé bien avant ces dix longues heures de route ! Moi, j'avais filé tout droit vers la glacière pour écraser mon nez constellé de tâche de rousseur contre la vitre bombée. Ainsi donc, le premier souvenir que je gardais de ma nouvelle vie serait toujours le carrelage noir et blanc, cette sensation de fraîcheur sur mon visage et le bon goût sucré du sorbet à la pomme. 

Je me pencha pour attraper mon tablier pendu au crochet sous le comptoir et me prépara déjà mentalement à cette longue journée qui nous attend.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 03, 2017 ⏰

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