Chap 1

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La jeune brunette lui lança un sourire resplendissant avant de la prendre dans ses bras sans qu'elle fasse preuve de résistance. Une véritable poupée de chiffon.
— On reste en contact, d'accord ?
Lan se contenta d'acquiescer sans grande conviction, fixant le mur beige devant elle sans exprimer d'émotion. La brunette, dont elle ne savait d'ailleurs pas le nom et qu'elle était sure de croiser pour la première fois, mit fin à l'embrassement, lui adressa un dernier sourire puis partit rejoindre ses amies qui l'attendaient un peu plus loin. Lan laissa échapper un long soupir...
D'agacement.
Les lettres qui glissèrent sous ses pieds au moment où elle ouvrit son casier ne firent qu'empirer son humeur. Des centaines, peut-être même plus, jonchaient sur le sol, le recouvrant à la manière d'un tapis. Elle se serait volontiers essuyée les pieds dessus. Elle referma son casier sans prendre la peine ni de les ramasser ni de les lire. Par expérience, elle savait que derrière les enveloppes colorées, le même message fade et dénué d'émotion se cachait.
Adieu.
Assez ironique, venant de personnes ne croyant pas en Dieu. Plus ironique encore, venant de personnes ne s'étant jamais intéressées à sa personne jusqu'à son départ. Tout compte fait, elle était plus qu'habituée à cette indifférence. Elle s'était, après tout, faite trimballer d'une maison à une autre comme un vulgaire sac de patates, sans que son avis ne soit écouté, voire même demandé. Et voilà que ça reprenait. À croire qu'elle ne serait plus jamais chez elle nulle part. Longtemps, elle avait gardé l'espoir fou, enfantin, que ses parents viendraient la sortir de cette impasse. "Chaque fois qu'elle avait vu une étoile filante, elle avait fait un vœu, le même, chaque fois. Puis, après douze ans de rêves brisés, elle s'était résolue à voir la vérité en face. Personne ne revenait du monde des morts. Surtout pas pour un cas aussi désespéré que le sien. Elle était seule, et aucune maison d'accueil ne pourrait jamais y changer quoi que ce soit. Aucune, pas même celle vers laquelle elle se dirigeait à contrecœur.
— Dépêche-toi, Lan, ta nouvelle famille est enthousiaste à l'idée de faire ta connaissance.
La voix stridente de Mélanie, sa travailleuse sociale, sortit l'interpellée de ses pensées noires pour la plonger dans des eaux plus troubles. Avec sa chevelure de flamme, elle passait difficilement inaperçue à travers la mer d'uniformes blancs des élèves, aussi Lan s'était-elle empressée de vider son casier, agacée par les regards insistants des curieux qui passaient par là. "Enthousiaste ? À propos de quoi ? De l'argent qu'elle recevra en guise de dédommagement ? Parce qu'apparemment elle était un tel boulet que chaque famille se méritait un montant rien que pour la supporter.
1720 dollars.
Telle était sa valeur annuelle aux yeux du monde. Pour aussi peu, des familles se réservaient le droit de l'accueillir pour ensuite oublier sa présence pendant les trois cent soixante-cinq jours suivants.
Lan grogna, ce qui n'eut pas l'air d'offusquer Mélanie, occupée qu'elle était à répondre à ses textos. Elle était passée maitre dans l'art de l'ignorer, et les seules phrases qu'elle lui lançait n'étaient que purement professionnelles et prononcées par obligation ou politesse.
Il fut un temps où elle buvait ses paroles tel un assoiffé en plein désert, mais elle avait cessé de faire attention à ce qu'elle disait vers l'âge de dix ans, après qu'une famille d'accueil ait omis de la nourrir pendant deux semaines. "— Tu les aimeras, crois-moi. Ce sont des gens bien.
Combien de fois Mélanie avait-elle promis un futur meilleur tout en sachant pertinemment bien que ce ne serait pas le cas? Et combien de fois l'avait-elle cru, naïvement ? Souvent. Trop souvent.
Plus maintenant.
À quoi bon, si c'était pour subir une déception après une autre ? Elle avait retenu la leçon. Ne jamais faire confiance à personne.
— Nous sommes presque arrivées. Tâche de faire bonne impression.
La jeune fille hocha machinalement la tête, perdue quelque part entre la Chine et le Canada. Son plus grand rêve était de retourner dans son pays natal, duquel elle ne savait que ce qu'elle avait lu ou vu. Les journaux décrivaient ce pays comme un endroit surpeuplé à la qualité de vie déplorable, et, bien que quelque peu offusquée, elle savait se montrer critique envers les informations recueillies. Elle était plus que motivée à en apprendre plus sur ce pays, son pays. Ce n'est pas que le Canada lui déplaisait, mais elle ne s'y sentait pas chez elle, bien qu'elle y avait vécu la majorité de sa vie. En effet, elle était arrivée au Canada très jeune, vers l'âge de trois ans. Comment ou pourquoi, elle ne le savait pas. Sa mère était morte à l'hôpital et depuis elle était orpheline. Enfin, c'était ce qu'on lui avait raconté, la vérité pouvait être toute autre, et bien qu'elle ne voyait pas quel intérêt auraient les gens à lui mentir, elle savait qu'il existait des êtres puisant leur bonheur dans le malheur des autres.
Cette partie de sa vie était assez floue, et elle ne se rappelait que de son réveil à l'hôpital. Les murs et meubles blancs lui avaient donné la fausse impression d'être au paradis, mais ses illusions avaient cessé quand elle comprit que l'enfer venait de s'ouvrir devant elle. Elle se souvenait d'un horrible grincement de porte. Elle avait fermé les yeux en se bouchant les oreilles. Elle avait ouvert ses yeux quand le bruit disparu, juste à temps pour voir une dame toute de blanche vêtue rentrer silencieusement, déposer des aliments aux formes étranges avant de sortir sans piper "mot, rapidement, comme effrayée qu'elle lui transmette sa maladie. Malgré sa hâte, elle avait eu le temps de lire dans le regard de la dame ce qu'elle s'était pourtant forcée de cacher. De la pitié. Elle ne savait pas encore ce que c'était, mais le sentiment que ce regard lui avait laissé l'avait marquée sans plus jamais la délaisser et depuis ce jour, la pitié faisait partie de ces choses qu'elle ne supportait pas. Et pourtant, c'était ce qu'elle recevait à longueur de journée.
Elle n'avait jamais cherché à en savoir plus, persuadée qu'elle était que son passée pourrait en rien améliorer son présent, présent qui donnait un avant-goût légèrement amer de son futur.
— Nous y sommes, l'informa Mélanie, qui retouchait son rouge à lèvre depuis une bonne minute déjà.
Comme si elle resterait assez longtemps pour que la famille d'accueil ait le temps d'admirer l'orange de celui-ci. Chaque fois le même scénario se répétait. Elle faisait les présentations aussi brièvement que possible, puis s'éclipsait en la laissant plantée là avec des inconnus dont le sourire forcé disparaissait aussitôt qu'elle l'était également. Mélanie sortit gracieusement de la voiture, élégante dans sa jupe cintrée verdâtre choisie non pas pour le moment mais plutôt pour celui qui suivra, la Bat Mitzvah de sa petite sœur qui célébrait bien évidemment ses douze ans.
Était-ce une lueur d'excitation qu'elle percevait dans ses yeux ou le reflet des rayons du soleil? La question ne se posait même pas. Elle devait avoir hâte de se débarrasser d'elle pour passer à des choses plus intéressantes.
D'une démarche assurée, elle se dirigea vers la famille d'accueil, une famille quoi de plus normale se tenant devant une bâtisse grisâtre à l'aspect assez simple et moderne mais à la taille assez imposante. Un mètre plus loin, elle prit conscience qu'elle marchait seule, soupira puis fit demi-tour.
— Lan, dépêche-toi !
À travers la fenêtre, elle pouvait l'apercevoir qui faisait des gestes l'indiquant de sortir, mais elle n'en fit rien, préférant l'ignorer. Puis, Mélanie sortit ses clés. Vaincue, Lan sortit de la voiture en soupirant et se dirigea sans grande énergie, la tête baissée, en direction de la famille patientant non loin de là, souriante aux lèvres malgré l'attente.
L'homme était grand, bien qu'un peu moins que sa femme. Cette dernière avait des cheveux d'un même brun que son mari. La fillette, qui avait l'air d'avoir tout au plus sept ans, sortait du lot avec ses cheveux dorés et sa jupe d'un rose fuchsia attirant l'œil, l'irritant presque. Mélanie serra la main de chacun des membres de la famille, la plus jeune comprise, avant d'introduire Lan.
     — Monsieur et madame Palgova, voici Lan. Lan, les Palgova, dit-elle d'un ton faussement guilleret, emprunté pour l'occasion.
À force de vouloir faire bonne impression, elle avait contracté une voix énervante et aiguë à souhait et un sourire en permanence collé sur son visage qui donnaient le plus souvent le résultat contraire. Cela se voyait dans les muscles contractés de la mère de famille, dans la manière dont la blondinette s'accrochait à la main de sa mère comme si elle risquait de s'envoler si elle la lâchait. Mélanie avait une de ces voix mielleuses que les dentistes utilisaient pour parler aux enfants. Tu vas voir, ça ne pincera qu'un tout petit peu. Et en fin de compte, l'enfant aura vécu la douleur la plus intense de sa vie et aura la phobie de tout ce qui pique.
— Bonjour Lan! On est content d'enfin te rencontrer !
L'homme leva sa main, certainement pour serrer la sienne, mais elle resta de marbre. Devant le malaise presque palpable, Mélanie débita les mêmes excuses plates qu'elle répétait à chaque nouvelle famille d'accueil.
— Elle est un peu timide, mais ça devrait s'arranger dans quelques jours. Vous savez, les adolescents ont besoin de temps pour s'adapter, dit-elle avec un gloussement de nervosité.
S'adapter ? Elle esquissa un sourire amer. Il ne fallait pas trop rêver.
— J'espère que tu te plairas chez nous.
Elle avait des doutes là-dessus. Elle leva la tête pour pouvoir avoir une meilleure vue sur la mère, une femme souriante, mais pas trop malgré qu'elle soit pourvue de magnifiques fossettes. Elle n'avait l'air ni sévère ni particulièrement indulgente. Son maquillage n'était pas très voyant, il y en avait juste assez pour souligner ses traits sans toutefois lui donner l'allure d'un clown.
— Je m'appelle Anna, mon mari se nomme Alexel et notre fille...
— Aglaya mais tu peux m'appeler Glagla, coupa la blondinette, qui semblait ne plus être intimidée par la présence de Mélanie puisqu'elle avait lâchée la main de sa mère. J'ai cinq ans, et toi ?
Elle la fixait de ses gros yeux bleus, comme si elle était un extra-terrestre tombé de l'espace.Tentée de lui répondre, elle se retint de justesse. Il était impératif qu'il n'y ait aucun lien affectif entre la famille et elle afin que le changement de famille d'accueil qu'elle supposait être éminent ne fasse jaillir en elle aucune émotion. Son mutisme perturba la fillette, dont les yeux s'arrondirent encore plus.
— Je vous laisse faire connaissance !
Quelques secondes plus tard, le bruit du moteur confirma le départ de sa travailleuse sociale. Encore une fois, elle avait pris la poudre d'escampette. Mais enfin, il n'y avait pas de quoi s'étonner ; après tant de maisons d'accueil, elle avait fini par s'habituer.
— Bonjour le professionnalisme, maugréa la femme, à qui Mélanie avait sans doute fait mauvaise impression.
— J'ai faim, maman, on peut rentrer ?
Toutes ces présentations avaient ennuyé la petite. Sans attendre de réponse, elle courut vers la porte d'entrée avant de s'immobiliser, se rendant compte qu'elle ne pourrait entrer. La suivant du regard, Lan esquissa un sourire. Cette innocence propre aux enfants l'avait toujours amusée, bien qu'elle l'enviait de temps à autre. Faisant volte-face, les mains repliées contre son torse, elle se mit à taper du pied pour montrer à ses parents son agacement. Ces derniers parurent amusés, puis, décidant que mieux valait ne pas trop faire attendre une affamée, la mère se dirigea vers la porte en sortant les clés de sa poche.
— Tu viens, Lan ?
La voix douce du père la prit par surprise, mais elle reprit rapidement sa contenance et le suivit jusqu'à l'intérieur qui, il fallait l'avouer, avait un décor assez impressionnant. Un énorme sofa beige, demi oval et sur lequel étaient posés des coussins de même couleur longeait les murs. Au centre de la salle, une table rectangulaire et transparente faisait office de support à des chandelles dégageant une bonne odeur de vanille. Un peu plus loin se trouvait  la télévision, placée de manière à en avoir une bonne vue peu importe sa place sur le sofa. Finalement, en guise de décoration, une peinture reprenant les couleurs principales du salon de manière abstraite "était accrochée sur le mur faisant face à la télévision. La salle était assez sobre, mais cela lui plaisait bien.
— Tu as besoin d'aide pour monter tes affaires ?
Elle refusa l'offre de l'homme d'un mouvement de tête. Le seul bagage qu'elle avait était un sac à dos. Elle n'avait rien, la vie lui avait tout pris et loin de lui enlever du poids sur les épaules, le vide semblait la faire s'enfoncer encore plus,
— Dans ce cas, suis-moi. Je vais te montrer ta chambre.
Elle ne se fit pas prier. De toutes les maisons d'accueil dans lesquelles elle avait eu la malchance, jamais aucune n'avait été si bien aménagée. Et puis, jamais elle n'avait eu sa propre chambre.
Suivant l'homme, elle monta des petits escaliers se trouvant à droite du sofa. L'escaladant, elle aperçu la salle à manger et la cuisine, séparées du salon par un mur ayant une ouverture en son milieu. La mère s'y affairait sous l'œil las de la petite, et près d'une salle dont l'utilité était cachée par la porte blanche. L'escalier menait à un deuxième étage contenant apparement quatre pièces, si on se fiait au nombre de portes. Le troisième, également le dernier, en avait trois. Ils se dirigèrent vers la porte la plus au fond, passant devant une complètement rose, menant surement à la chambre d'Aglaya.
— Voilà ! annonça l'homme en ouvrant grand une porte beige.
         La chambre était incroyablement spacieuse. Un des murs, complètement vitré permettait une belle vue sur le ciel, en plus de rendre la pièce énormément claire et lumineuse. À l'image du salon, la chambre était très épurée. Le lit blanc se trouvait à côté de la fenêtre et, sur la même ligne se trouvait un petit tapis sur lequel étaient posés des coussins. Une armoire blanche aux côtés noirs sur laquelle était dessiné un sakura était collée contre le mur du fond, et contre le dernier mur se trouvait un bureau ainsi que des tablettes de rangement soudées au mur.
Voyant sa béatitude, l'homme sourit. Ils avaient tenté de l'aménager au mieux pour que Lan s'y sente à l'aise,  bien que peu de modifications avaient dû être apportées, la chambre étant à la base assez confortable.
— J'espère que tu t'y plairas !
Jamais personne ne s'était efforcé de lui offrir une chambre digne de ce nom, certains la faisant dormir à même le sol alors que même leur chien avait droit à un coussin. Le père nota, à son plus grand bonheur, le début de sourire sur les lèvres de Lan. Ce n'était pas grand chose, mais comparé à son visage neutre de tantôt, c'était une nette amélioration.
— C'était celle de Maïa, ma faille aînée, mais elle a emménagé avec des amies pour l'université, précisa le père, croyant bon de l'en informer. Bon, je te laisse t'installer.
Sur ce, il quitta la pièce, la laissant seule dans cette pièce qui n'était pas tout a fait sienne. Elle n'était pas la bienvenue ici. Elle était l'intruse. Elle n'était pas chez elle dans cette chambre et ne le sera jamais.
Un goût salé parvint à ses lèvres. Tiens, elle n'avait pas remarqué qu'elle pleurait. Elle ne savait pas son corps encore capable de produire des larmes. Il fallait dire qu'elle avait tant pleuré dans sa vie que son corps devait être complètement à sec, un désert plein de mirages d'oasis. Son corps s'était vidé de toutes ses larmes tout comme sa vie l'avait vidée de tout espoir...
Pour se donner l'illusion d'être propriétaire de la chambre, elle se mit à défaire le sac contenant ses effets personnels. Savon, brosse à dent, rien de plus normal. Puis, elle tomba sur des lunettes aux verres fumés et grimaça.
Elle détestait les porter ; ils teintaient sa vie en noir. Et puis elle n'en avait pas réellement besoin, sa vue était excellente, mais l'air inquiétant et distant qu'elles lui donnaient lui permettait d'éviter tout contact avec les élèves et les professeurs. Toute sa vie, on l'avait fuie et rejetée sans raison, alors elle s'était mise en tête de donner aux gens de bonnes raisons de le faire. Elle savait qu'elle risquait d'être la source de moquerie, mais c'était bien le dernier de ses soucis. Elle avait l'habitude et de toute façon, elle ne comptait pas s'intégrer aux autres.
Déposant les lunettes sur la table de chevet, elle plia les vêtements que lui avait donnés Mélanie en guise d'uniforme en soupirant.
Chaque maison d'accueil correspondait à une rentrée, si bien qu'elle avait l'impression d'être prise dans un cercle vicieux duquel elle ne pourrait jamais sortir, revivant jour après jour sa première journée d'école.
— Laaan, tu peux venir manger !!  s'écria Aglaya en entrant en trombe dans sa chambre, sans toquer.
Grognante à peine quinze minutes plus tôt, la petite semblait avoir retrouvé sa joie de vivre. Apparement, elle écoutait plus son estomac qu'autre chose.
— Alleeez !! la pressa la blondinette en la tirant par le bras.
Sans grand enthousiasme, Lan la suivit jusqu'à la cuisine, un étage plus bas. L'odeur succulente qui agrémenta sa descente de l'escalier lui mit l'eau à la bouche. La table était recouverte d'une nappe bleutée à motifs de fleurs et en son centre, le plat de résistance trônait en toute magnificence. En se rapprochant, elle remarqua que bien qu'à l'apparence on aurait dit des spaghettis ou des nouilles épaisses, elle doutait que ses hypothèses s'avèreraient exactes.
— Bœuf Stroganov, tu m'en diras des nouvelles ! s'exclama la mère une fois qu'elle fut assise à la seule place restante, soit celle en face d'Aglaya.
— Oui, c'est trop trop bon, confirma celle-ci en quittant la table, son assiette en main.
— Qu'est-ce que tu fais, ma belle ?
— Je vais manger avec Lan, répondît sa fille d'un ton assez catégorique.
Croyant qu'elle voulait simplement s'assoir à ses côtés, la mère déplaça la chaise jusqu'à la droite de Lan, mais comprit bien assez vite que sa fille avait une autre idée en tête quand elle prit le chemin des escaliers, avant de brusquement faire demi-tour.
— Tu viens ? S'enquit-elle en la tirant par la main.
Hésitante sur la marche à suivre, elle finit par être convaincue par son regard de chien abattu. Voyant cela, le père gloussa plus ou moins subtilement et la mère ne fit que lui rappeler de manger proprement.
— Ça, c'est Tilou ! s'exclama la petite en lui montrant une peluche bleue en forme de hérisson. Ne t'inquiète pas, il ne pique pas, précisa-t-elle, croyant qu'elle ne voulait pas le caresser pour cette raison. Et lui, c'est Capo ! C'est mon préféré, touche, il est très doux !
Regarde avec les yeux ce qui ne t'appartient pas, lui avait-on toujours dit. Et ces peluches ne lui appartenaient pas. Mais, devant l'insistance de la fillette, elle prit le mouton marron qu'elle lui tendait. Effectivement, il était très doux. Elle sourit légèrement sous le contact, avant de déposer la peluche sur le sol pour engloutir les lamelles de bœuf. Elle en faisait la dégustation pour la première fois et elle devait avouer qu'elles étaient délicieuses.
— Pourquoi tu parles jamais ? voulu soudainement savoir Aglaya.
Plus observatrice qu'elle en avait l'air, la petite. Elle haussa les épaules. Peut-être parce qu'on lui avait dit de se taire tellement de fois qu'elle en avait pris l'habitude ? Peut-être parce que de toute façon personne ne l'écouterait ? Peut-être parce qu'elle n'avait personne à qui parler ?
— Moi je parle beaucoup, beaucoup et tout le temps, débita la petite comme si on pouvait passer à côté de ce fait. Même que des fois, maman me dit qu'un jour j'aurai plus de salive et ma langue va être sèche comme le désert et je pourrai plus jamais parler et...
Elle parlait encore et encore tout en mangeant son repas, allez savoir comment. Un monologue sans queue ni tête. Elle sautait du coq à l'âne sans préavis et malgré tout, Lan l'écoutait. Sans s'en rendre compte, elle succombait peu à peu aux charmes de ce moulin à paroles. Les enfants étaient si candides, peut-être qu'elle pourrait lui laisser une chance ?
— Tu viens d'où ? s'enquit Aglaya en arrêtant brusquement de parler d'Alexandre qui cachait toujours ses poupées mais qu'elle aimait un peu bien quand même.
— De la Chine, chuchota Lan, esquissant un léger sourire en voyant les yeux Aglaya s'élargir.
— C'est où ça, la Chine ?
— Attend, je vais te montrer.
Elle se leva et alla chercher le globe terrestre, rose sans grande surprise, qui se trouvait dans la chambre de la fillette. Elle lui indiqua où était la Chine, dont elle connaissait l'emplacement par cœur à force de faire des recherches. Puis, ce fut autour d'Aglaya de lui montrer d'où elle venait.
— Ici !
Elle se trouvait donc dans une famille Russe, cela expliquait les plats sortant de l'ordinaire. Comme Aglaya était curieuse de savoir où était le pays des kangourous et celui de la botte, Lan entreprit de lui montrer tous ceux qu'elle connaissait, ajoutant quelques informations au sujet de la culture "ou de la nourriture de temps à autre. Étonnamment, malgré son jeune âge, Aglaya semblait réellement captivée par la géographie, buvant ses paroles, posant même parfois des questions.
Bientôt, la blondinette s'endormit, la tête posée sur ses épaules, et elle sourit en regardant sa bouillie d'ange. Son assiette, tout comme celle de Lan, avait été vidée complètement. La mère n'avait pas menti, le bœuf Stroganov avait été un véritable délice. Celle-ci, trouvant bizarre qu'elles soient restées enfermées dans la chambre toute la soirée, se pointa bientôt à la porte accompagnée par le père. Devant la scène qui s'offrait à eux, ils ne purent que sourire et décidèrent de l'immortaliser en prenant une photo, le déclic faisant sursauter Lan, qui ne les avait pas vus, pas plus qu'elle n'avait pas vu les heures passer.
— Je l'ai jamais vu s'endormir aussi tôt, rigola la mère, faisant légèrement sourire Lan.
— Surtout pas avec un globe dans les mains, ajouta le père, trouvant la situation tout aussi amusante.
Le rire était contagieux, et ainsi Lan ne put s'empêcher d'y prendre part. Cette famille n'était peut-être pas si mal après tout, se surprit-elle à penser. Il ne restait plus qu'à voir ce que le futur lui réservait.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 20, 2017 ⏰

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