Seul.

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La douleur a-t-elle un sens ? Le passé, peut-il influer sur le futur ? À quoi servent toutes ces questions sans réponses ?

Cette nuit-la, le sommeil refusait de venir. Je m'entêtais à observer le plafond en espérant m'endormir. Mes yeux scannaient tous les détails, passant des lignes qui séparaient les planches, au bois craquelé et aux couleurs délavées. Je fermais les yeux, les ouvraient, les refermaient, les rouvraient, les refermaient. Je me déplaçais, m'emmitouflais dans la couverture à la recherche de chaleur, la retirais car j'en avais trop, la reprenais, chassant le froid. Rien à faire. Morphée avait déserté ce soir-là. Les nuits d'insomnie revenaient-elles ?Je décidais alors de me lever et d'aller prendre l'air, histoire de me changer les idées. Le silence était maître du couloir. Ma marche vint perturber cette tranquillité.

J'étais seul sur le pont, la nuit était fraîche, les étoiles brillaient. La mer était une immense étendue ébène qui se perdait au loin sans jamais s'arrêter. Le contact de l'air sur ma peau m'apaisa. Je levais alors la tête, jamais je n'avais vu un aussi beau tableau,une pureté céleste. Le ciel était obscur, la Lune était ronde et étincelante. Sa vue me brûlait presque la rétine tellement sa couleur était vive. On pouvait voir des dizaines, des centaines, des milliers de points blancs parsemer cette toile noire, comme du sucre qu'on aurait étalé sur un gâteau. Le bateau tanguait sous les flots continus de la mer, allant au gré de mes sentiments et me transposant dans une sorte d'état de bienfaits que je n'attendais plus. Je m'asseyais au bord, retenu par la barre.

Qu'est-ce qu'il m'a pris? Comment j'en suis arrivé là? C'est à cause de cette fille. C'est elle qui m'a embarqué dans ce bateau et m'a enfermée dans les cales. C'est à cause d'elle si... non, je me mentais à moi-même. En réalité, alors que le désespoir et la mort rôdaient autour de moi telles des charognards, elle m'a libéré de ma propre cage et m'a sorti de cet Enfer. Elle était gentille, c'était... Comment disait maman déjà ? Ah oui ! Mon ange gardien. Pourquoi m'avoir emmené ? Je ne représente rien pour elle, à part un parfait inconnu. Elle ne connaît rien de moi à part mon prénom. Ni mon passé, ni mes projets. Elle se permet de venir perturber mon quotidien. Et pourtant je lui suis reconnaissant au fond.

Je regardais à nouveau les étoiles. Le ciel, reflets de nos réflexions les plus personnelles. Mes pensées voguaient de souvenirs en souvenirs. Un éclat de mémoire particulier se raccrocha à mes yeux. Ce souvenir si intense ne méritait pas d'être revécu. Il était trop douloureux.

Quelque chose mouillait mon visage, il pleut ? Pourtant mes vêtements n'étaient pas humides. Ah oui ! C'étaient les larmes, si amères, si salées. Il était trop tard pour ne pas replonger dans le passé.

Je revenais du collège, j'avais fini tard, il faisait nuit. Un ciel saturé d'étoiles et un astre luminescent. Je n'étais plus très loin du domicile familial. Au fur et à mesure que j'approchais, une drôle d'odeur titillait mes narines, une odeur inhabituelle. Je relevais la tête.

Les flammes dansaient plus grandes les unes que les autres, n'hésitant pas à souiller les hauteurs aux couleurs profondes. Elles dégageaient une lourde fumée noire aussi épaisse que possible. L'air était irrespirable et me piquait les yeux. Les débris de ma maison brûlaient et croulaient sous le poids léger du feu. Un parfum de mort régnait dans l'atmosphère. Je m'effondrai à même le sol, paralysé. L'incendie consumait ma maison, il n'y avait presque plus rien. Je venais de tout perdre, mon chez moi, ma famille. Plus tard j'entendis une alarme, on me prit doucement, on m'emmena plus loin, on m'examina. Des gens me parlaient. Dans une autre langue, une autre dimension.

La suite des événements étaient d'une limpidité douloureuse. J'ai été importé dans des familles d'accueil, toujours rejeté, en raison de mon étrangeté disait-il. Après une longue série où je sautais de famille en famille, j'ai fini par atterrir dans un orphelinat on l'on ne me prêtait pas une grande attention, les éducateurs ne s'occupaient de moi que d'un point de vue éducatif et les enfants ne s'approchaient pas de moi. J'étais nourri et logé, mais on ne pouvait pas parler de bonheur. Les récréations étaient parfois dures, mais j'ai fini par m'y habituer. C'était le début de ma solitude. Je n'ai jamais tenté de fuir. C'est seulement à 15 ans qu'on m'a foutu à la porte. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'après des années de souffrances j'ai osé m'affirmer. Je m'étais battu.
J'ai erré pendant longtemps, fouillant dans les poubelles, parfois volant. Je m'endormais dans des ruelles sales et sombres, me levant toujours éclairé par cette lueur devenue pâle qu'était le soleil. Toujours à la recherche d'un peu de nourriture, d'un peu d'eau,d'un peu de chaleur. De quoi survivre. Dans ces moments délicats, ou mon âme désirait un peu de compassion, je me remémorais les histoire que me racontait ma mère, ses lèvres se posant sur mon front ou ma joue. Les bras forts de mon père m'attrapant et me soulevant. Les taquineries de mon frère qui s'amusaient de ma colère. Et les câlins un peu brusques de ma sœur. Ces souvenirs me donnaient la force de toujours marcher, toujours avancer. Ces souvenirs si chers, qui me rappelaient durement que cette ère était révolue, et qu'une nouvelle époque de souffrance m'attendait. «Si seulement j'avais pu être avec vous cette nuit là». «Je suis désolé » dis-je. «Je suis désolé» répétais-je. «Je suis désolé». renouvelais-je. Je me laissais aller à ma tristesse, sans faire de bruit. Sans exister.

J'étais seul sur le pont, la nuit était fraîche, les étoiles brillaient. J'étais épuisé à force de pleurer. Cet événement démarrait le début d'une vie cruelle et esseulée. Et ce parce que je ne me fondais pas dans la masse selon la société. Pour les autres j'étais bizarre. C'est peut-être vrai. Je continuerais à être étrange.

Je m'appelle Issa et je suis seul.

Une nuit d'étoile.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant