Le rêve d'une vie

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Cela faisait un peu moins de deux ans que les entraînements pour la course à l'espace avaient commencé. J'avais eu la chance d'être sélectionné, une question de taille, de sexe, d'âge, de poids, de compétences et de personnalité. Je n'avais pu parler à personne de la mission dans laquelle je m'étais engagé, pas même à ma femme. Malheureusement cette dernière avait fini par le découvrir un mois auparavant, à la naissance de Galya, notre deuxième fille, à qui je n'ai pas eu la possibilité d'accorder beaucoup de mon temps. Deux jours plus tôt, j'avais écrit une lettre à ma femme lui expliquant qu'il y avait 50% de chance que je ne rentre pas. Tout était prêt. Mes mois d'entrainement intensif allaient enfin servir à quelque chose. Nous étions le 12 avril 1961 et j'allais être le premier homme à aller dans l'espace. Cet espace qui m'avait toujours tant attiré et tant séduit. L'espace était mon amour de jeunesse. L'espace était l'amour de ma vie. J'allais enfin entrer en contact avec la chose qui m'intriguait le plus au monde. C'était bien plus qu'un simple intérêt, c'était une réelle obsession. J'aimais voler à bord de l'avion duquel j'étais le pilote, mais je voulais tellement voler plus haut. Je voulais tellement me rapprocher du ciel et m'éloigner de ce monde de terreur et d'oubli. Pendant quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures, je voulais être moi-même loin de tout cela. Je voulais défier la gravité. Je voulais me rapprocher des étoiles. Je voulais voir tout notre petit monde d'en haut. Je ne voulais plus me sentir si petit, si insignifiant. Je voulais réaliser mon rêve de gosse, et ce rêve allait se réaliser. Ce jour avait été le plus beau de mon existence. Même plus beau que mon mariage ou la naissance de mes filles. Je pouvais enfin vivre le rêve de ma vie, la chose pour laquelle je travaillais et me battais depuis tant de temps. L'espace m'était ce que la muse est à l'artiste. J'aimais plus l'espace que je n'aimais ma propre vie. Le fait d'avoir été choisi faisait de moi l'homme le plus heureux de la terre. Terre que j'allais bientôt voir sous un angle encore inconnu de tous. Un immense sourire éclairait mon visage quand je montai dans la navette à 9 heures 07 ce frais matin d'avril. C'était le même sourire que celui qui éclaire le visage d'un enfant qui découvre son cadeau de Noël tant attendu, cette mission était le cadeau de ma vie.

La cabine était exiguë. Une odeur de kérosène mêlée à celle de la transpiration flottait autour de moi. Il n'y eut de compte à rebours. La fusée a décollé à l'heure annoncée. La nuit précédente, je n'avais pas beaucoup dormi et une boule de stress s'était formée dans mon ventre. J'étais heureux et excité, mais autant le dire, j'avais franchement peur. Depuis le début des missions soviétiques, huit sur les seize lancées avait échoué. Ce n'est pas le fait de potentiellement mourir qui m'effrayait, c'était le fait que ça arrive sans que j'aie eu la possibilité d'aller dans l'espace, sans que j'aie eu la possibilité de réaliser mon rêve. Mourir à l'atterrissage ne me dérangeait pas plus qu'autre chose car j'aurais déjà réalisé ce merveilleux rêve qui avait nourri tant d'espoir en moi, mais mourir au décollage, mieux vaut ne pas imaginer cela. Quand le vaisseau démarra, je fus cloué sur mon siège mais je ne pus m'empêcher de sourire béatement, tout était comme dans mes rêves.
- Comment allez-vous ? me demanda Korolev depuis la station terrestre
- Très bien et vous ? répondis-je alors que la vitesse exerçait une immense pression sur mes épaules m'empêchant pratiquement de parler
Korolev était un homme bon. C'est à lui que je dois le privilège d'avoir été dans l'espace. Il était mon responsable et je crains qu'il n'ait été bien plus inquiet que moi quant à la mission Vostok 1. Il avait tellement peur que quelque chose ne fonctionne guère et fasse tomber son projet à l'eau au sens propre du terme. En effet, Korolev craignait qu'une panne survienne, ce qui m'enverrait baigner dans les eaux glacées au Sud du Cap Horn.

Durant une dizaine de minutes la fusée s'élevait à une vitesse phénoménale. Grâce au hublot j'avais la possibilité d'observer le sol, les nuages, la terre et la mer. Le spectacle était d'une telle beauté. Ce à quoi j'avais toujours rêvé était en train d'arriver. Je distinguais également le site d'atterrissage. Un mélange d'émotions contradictoires m'envahit, de l'angoisse, de la joie, de l'étonnement et un certain dégout quant à l'odeur fort nauséabonde. J'étais là, dans ce vaisseau, habillé d'une combinaison orange et souriant tel un gosse. Mon cœur battait la chamade et de petites larmes de bonheur naquirent au coin de mes yeux. J'étais vivant comme un nouveau-né qui pousse son premier cri, heureux comme un enfant devant un cadeau, stressé comme un adolescent avant son premier rendez-vous galant, comblé comme un jeune père, fier comme un soldat rentrant de la guerre. Je me sentais libre et entier. Je me sentais moi. Je me sentais bien.

Le rêve d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant