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-Raccroche !
-Non toi raccroche !
-Allez c'est bon raccroche, on se voit dans 2 jours !
-C'est long deux jours raccroche !
-Chéri raccroche !
- Nan je t'ai..


J'aurais dû raccrocher. J'aurais dû. Tu serais arrivé chez tes parents. Tu aurais passé un super week-end en famille. Tu serais revenu en pleine forme et on aurait passé la journée dans le canap devant un bon film.
On serait partis en soirée, on aurait dansé ensemble. Tu m'aurais chuchoté que j'étais ravissante dans ma robe bleue. Tu m'aurais embrassé, j'aurais rit en te disant que tu empestais l'alcool. On serait rentrés à la maison, tu m'aurais pris dans tes bras. Je me serais calée contre ton torse et nous nous serions endormis.

Nous devions nous marier. Enfin j'aurais accepté sans hésitation. Tu te demandes comment je suis au courant ? Ton meilleur ami avait laissé échapper que vous étiez allés choisir la bague.

Ils l'ont retrouvé dans ta poche. Elle est vraiment magnifique. Et je la porterai jusqu'à ce que je te rejoigne, où que tu sois. Tu pourras me faire ta demande une fois là haut.

Mais j'aurais tant aimé voir nos cheveux blanchir ensemble.
J'aurais tant aimé que nous regardions notre vieil album, rempli de photos de nous, plus jeune, souriant niaisement à l'objectif. J'aurais tant aimé retoucher ma coiffure et t'apercevoir derrière moi dans la glace. J'aurais tant aimé passer mes dernières minutes avec toi. J'aurais tant aimé croiser une dernière fois ton regard avant de fermer les yeux sur ce monde.
J'aurais tant aimé mourir près de toi. La où a toujours été ma place.

Maintenant il faut que je te le dise. Même si tu n'es plus là, je vais continuer à me battre. Car, je crois que je peux parler au pluriel maintenant. Nous t'aimerons toujours. Moi. Et le bébé qui donne des coups dans mon ventre. Notre bébé.
Si j'avais accepté de t'épouser, nous nous serions mariés en avril. Tes parents m'ont tout raconté j'espère que tu ne leur en veux pas.

Aujourd'hui, j'accouche. Ma mère est là. Elle me tient la main. Mais secrètement j'imagine que c'est toi qui la serre au point de me couper la circulation.
J'entends un cri, ce n'est pas le mien, mais celui de notre fille qui respire pour la première fois. April.
Te connaissant tu aurais crié de joie avec elle, tout en pressant ma main. Tu aurais embrassé mon front, couvert de sueur.
Je t'aurais souri en pleurant comme je le fais en ce moment avec ma mère.

Mon père lui, se morfond dans la salle d'attente. Il doit se ronger les ongles, un vice que vous avez en commun.

Tu aurais fait un super papa. Ça je n'en ai jamais douté. Et il y a une chose que tu dois savoir, je n'ai jamais douté de toi. Si tu avais terminé ta phrase, tu aurais dit " je t'aime, trop ". C'était ton rituel.

Quant tu disais " trop " tu ne parlais pas comme les jeunes qui disent " ouais t'as trop raison -ou- nan mais j'laime trop ! " tu m'aimais vraiment trop. A un point que je ne méritais pas.

Au lieu de ça, un camion a percuté ta voiture et tu as été tué sur le coup. Tu n'as pas souffert.
Moi oui, trop.
Et je culpabilise. Ça m'empêche de dormir et les cernes que j'ai ne sont pas causées pas le bébé. Il faut avouer que c'est de ma faute. Si j'avais raccroché tu serais là aujourd'hui à me caresser le bras en murmurant " je t'aime, trop ".

Maintenant tu es loin de moi, physiquement enfermé dans un endroit que je commence à connaître par cœur.
Car même si les allées se ressemblent, ta tombe est la plus colorée. Elle est couverte de fleurs chaque jours.

J'ai quitté l'hôpital et suis revenue à la maison. C'est le seul endroit qui contient ton odeur, et je ne pouvais pas me résoudre à l'abandonner. Tout comme tes t shirts beaucoup trop grands pour moi que j'ai porté chaque jour durant ma grossesse. J'ai gardé chaque parcelle de toi. Pour toujours avoir un semblant de ta présence contre moi.

April pleure. Mais je préfère ça que le silence. Alors je la prends dans mes bras et la berce tendrement. C'est un amour. Tu l'aurais choyé comme c'est interdit. Et je vous aurais regardé en riant.

Elle me maintient en vie tu sais ?
Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Dès que je déprime elle attire mon attention et me redonne le sourire.
Elle rit.
Et j'adore son rire. Elle est pleine de vie et rigole tout le temps, comme toi. Elle te ressemble beaucoup. Elle a cette même grimace incroyable quand elle ne comprend pas quelque chose. Cette mimique digne d'un dessin animé.

Il est 19h l'heure pour April de se coucher. Je la prends dans mes bras et la pose délicatement dans son berceau. Sur sa table de chevet, une photo de toi et moi ainsi que sa tétine. Je m'attarde quelques secondes sur ton visage éclatant puis couche notre bébé en lui murmurant : " je t'aime, trop "

Raccroche Où les histoires vivent. Découvrez maintenant