Tu n'avais jamais vraiment eut d'amis, mais du peu d'expérience que tu possédais, tu avais toujours ressenti cette peur d'aller chez un inconnu. Cette peur de ne pas trouver ta place, de ne pas être à ton aise. Car il n'y avait que dans ton cocon où tu pouvait librement être toi. Et ce cocon s'arrêtait à la porte de ta chambre.
Pourtant, pour la première fois de ta vie, tu avais trouvé un nouvel endroit chaleureux. La maison de Mathis n'était pas grande comparée à celles de ton quartier. Sa façade restait sobre et rassurante, contrairement à la tienne où tout était dans l'image, dans la parade, où tout était faux. Derrière, il n'y avait qu'un pauvre décor de carton-pâte.
Tu avais fait la connaissance de la mère de Mathis. Tu avais appris que ses parents étaient séparés depuis neuf ans maintenant. Quel que soit le sujet de conversation qui se faisait autour de la casserole de riz, tout te faisait repenser à tes problèmes. Il ne faudrait pas longtemps pour que tes parents divorcent, pensais-tu. Mais Mathis avait bien vu que tu étais perdu dans tes pensées, les yeux larmoyants et braqués sur les grains que tu mangeais un par un.
- Bon maman, on est tous les deux fatigués, on a eut une longue journée, tu ne nous en veux pas si on va se coucher ?
- Vous prendrez un dessert ? J'ai acheté des flambys !
- C'est gentil maman, on verra ça demain.
Mathis te fit signe de la tête, t'invitant à te lever. Tu montais avec lui, et repensais à cette journée. Tu n'avais jamais réellement cru au karma, aux bonnes actions et au destin. Pourtant, à l'heure actuelle, tu remettais tes perceptions en question. Pour une fois que tu voulais faire quelque chose de bien dans ta petite vie dénuée d'interêt, les embûches barraient ta route. Comment rester fort, comment rester fier, face à ce monde qui s'écroule ? Face à ton monde qui s'émiette, s'étiole, comme si les mille étoiles que tu aimais regarder par ta fenêtre s'éteignaient une à une. Malgré toutes tes bonnes volontés, le karma avait-il été clément en t'envoyant Mathis ? Tu n'en sauras jamais la réponse, seule ta propre imagination pourra y poser des mots.
La chambre de Mathis était incroyablement apaisante. Avec la nuit qui était tombée, tu n'aurais su dire de quelle couleur elle était. Seules deux faibles guirlandes éclairaient un coin de la pièce et la tête de lit. Tu sentis sous tes doigts des photos épinglées contre le mur. Une chambre se doit d'être vivante, et refléter la personnalité de son occupant.
Tu t'assis sur le lit, pendant que le jeune garçon lança le diamant sur un vinyle. Son vieux tourne-disque craqua un son rauque et chaud, affecté par la poussière qui devait s'amonceler dans le mécanisme. Tu reconnus immédiatement la chanson, et le peu de paroles que tu comprenais t'affectaient particulièrement. Billie Holiday avait été une leçon de vie pour toi, cet été. Éclairés par les faibles diodes, les yeux de Mathis te fixaient. Un mélange de patience, de détermination et d'inquiétude se reflétait dans ses iris. Il avait envie de savoir, de comprendre, voire peut-être de te connaître.
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Iceberg
Short Story« Tous les cœurs ne sont pas nécessairement froids » m'avait-il dit. Il ne me restait plus qu'à y croire. #36 dans la catégorie Nouvelles (16.04.2017) Je suis un paradoxe | © 2017-2019