Bonjour, asseyez vous.
- Bonjour.
- Donc, que se passe-t-il ?
- Je...Je suis mort depuis maintenant un an et six semaines et personne ne le sait.
- Personne ?
- Personne...enfin à part vous.
- Personne à part moi ?
- Non.
- Et vous ?
- Quoi moi ?
- Vous le savez ? Que vous êtes mort, vous le savez.
- Oui, oui, bien sûr que je le sais !
- Alors deux personnes sont au courant de votre décès. Vous, bien entendu ; et moi, deux personnes.
- Ah oui...oui, oui.
- Nous disions donc...vous disiez donc, vous n'avez informé personne de votre...mort ?
- Non, personne.
- Mais ils doivent bien s'en rendre compte ! Ils doivent bien le voir que vous n'êtes plus vivant.
- Non.
- Non ?
- Non.
- Et comment est ce que ça se fait ?
- Je leur mens.
- Vous...?
- Je leur mens. Je leur mens en faisant croire que je suis toujours en vie.
- Pourquoi faites vous cela ?
- Pour vivre.
- Mais vous êtes mort.
- Pour vivre ! ( s'arrête et se calme ) Pour vivre, je n'ai jamais vécu, avant. Je n'ai jamais vécu.
- Et donc vous mentez pour vivre ?
- Je mens, je mentais, je mentirai pour exister, pour être le reflet en face de moi. Je mens pour exister ! Je mens pour pas avoir à ne rien dire, pour être quelqu'un. Pour être ! Pour qu'on m'écoute. Même si on s'en fout. On m'écoute. Pour ne pas me coucher seul. Pour pas parler seul, manger, pleurer, rire seul ! Pour pas être transparent, invisible, pour ne pas être comme tout le monde. Pour ne pas être moi. Je n'ai rien à raconter, rien à dire. Rien à être. A part ma mort, il ne s'est rien passé dans ma vie.
- Et votre femme, votre fiancé ?
- Je suis jeune, et mort, je n'ai pas de femme, ni de fiancé
- Vous viviez seul ? Personne dans votre entourage ?
- Non, non. J'étais avec quelqu'un. J'avais des amis, de la famille. Il y a si longtemps.
- Alors ? Que leur disiez vous ?
- La même chose, à tous. Ou plus ou moins. Ou pas du tout.
- Vous avez aimé ?
- Quoi ? Ça ?
- Non, qui ?
- Ah...oui, une fille. Enfin, une femme.
- Parlez d'elle.
- Pourquoi ? Je n'en ai pas envie.
- Alors parlez. De ce que vous faisiez avec elle.
- On s'engueulait.
- Souvent ?
- Bien assez pour qu'elle ne m'aime plus. Je me demande même si elle m'a déjà aimé un instant.
- Vous l'aimiez ?
- Je l'aime.
- Et que lui disiez vous ?
- Des histoires, des voyages, des gens. Tout du faux. Pour l'impressioner. Pour qu'elle m'aime. Pour pas la perdre. Je suis assez bien pour personne, alors je le deviens. Pour tout le monde.
- Vous mentez à tout le monde ?
- Oui, tout le monde, personne ne sait. Personne ne veut savoir. Personne ne me connaît. Tout le monde me parle. Mais personne ne m'adresse la parole. C'est toujours pour lui. C'est lui qui doit parler. C'est à lui qu'on veut parler. Personne ne veut me parler à moi ! Personne ne sait que j'existe ! Je n'existe pas ! Ils ne m'existent pas ! Mort ou vivant ! Menteur ou non ! Je n'existe pas !
- Lui ?
- Oui...oui...continuons.
- Très bien, êtes vous heureux ? ( Il ne répond pas ) Très bien. Mais moi...vous...Et la vérité ?
- La vérité ?
- Oui, qui, à qui dites vous la vérité ?
- Personne. Parfois je ne mens pas.
- Et vous ? Vous vous dites la vérité ?
- Parfois...je ne mens pas.
- Bien...vous pouvez y aller...c'est la porte de gauche. Là, juste là.