Encore trois longues heures de travail et je pourrais enfin toucher ma paye de ce mois-ci ! se dit Antoine en fin de journée. Tout ce temps passé au bureau l'avait épuisé, mais il s'en moquait. Lui et ses collègues avaient enfin achevé leur ultime projet, Lost Requiem. Des jours, des semaines et des mois de programmation pour enfin atteindre leur but. Oh douce joie ! Oh heureux évènement ! Oh richesse ! Ce nouveau jeu va faire un carton en concurrençant tous les produits déjà existants sur le marché. Ces quelques millions de lignes de code vont nous rapporter gros ! se répétait-il. Nul ne pourra nous empêcher de prendre le monopole du jeu vidéo avec ça. Et il resta encore trois heures pour toucher sa paye.
Un portail doré, une haie parfaitement taillée et une petite mare au style traditionnel japonais, aucun doute, il était chez lui. La centaine de mètres qui séparaient l'entrée de la maison était comblée par du gravier, lui-même bordé d'une minuscule surélévation qui le démarquait du vaste et fleurissant jardin. Les nombreux parterres de roses et de tournesols s'ouvraient au soleil tandis que les deux bouleaux symétriquement répartis de chaque côté de la maison créaient des ombres apaisantes pour les quelques oiseaux venus ici pour se reposer. Ainsi, nul ne pouvait dire que tout ce faste était dénudé d'utilité. Même le son que produisait le gravier quand on lui marchait dessus était aussi harmonieux que le chant des rossignols et s'accompagnait de la douce mélodie que jouait la voisine sur son piano.
La poignée tourna, le verrou grinça mais la porte s'ouvrit. Voilà des années que ce vieux machin couinait et résistait lorsqu'on tentait de pénétrer à l'intérieur. La charnière semblait supplier qu'on la laisse tranquille tant elle était rouillée et abîmée par le ravage du temps. Mais qu'importe ! Du moment qu'elle conservait ses somptueuses dorures et ornements et qu'elle était plaisante pour le regard, rien ne perturbait Antoine. En entrant, ce fut une bouffée d'air frais pour lui. Le luxe était omniprésent dans sa demeure: des canapés en cuir réalisés avec un savoir faire artisanal italien, un immense tapis en velours digne des plus grands châteaux, des meubles en acajou de Cuba, un gigantesque écran 3D LED 4K, un ordinateur dernier cri avec 3 écrans et bien d'autres merveilles encore. Mais pourquoi attendre une si maigre paye alors que l'on dispose de tant de richesses ? Il vous répondrait sûrement que chaque somme d'argent à sa propre valeur et toutes ont leur importance. De plus, il considérait la programmation uniquement comme une activité, un loisir pour le distraire de son quotidien. Difficile de croire en un tel génie, capable de coder des milliers de lignes en une seule journée, avec si peu de motivation. Sa véritable passion était l'argent sous toutes ses formes: en espèce , chèque ou carte bancaire. Rien que l'idée d'en recevoir provoquait une extase indescriptible chez lui. Il ne croyait en rien d'autres qu'un euro et un euro en faisait deux, et que deux euros et deux euros en faisait quatre.
Antoine s'allongea un instant sur l'un de ses canapés en cuir. Cette journée l'avait complètement vidé. L'un de ses collègues avait fait une faute de frappe en codant, ce qui avait engendré tout une suite d'erreurs lorsqu'ils avaient lancé le programme. Il leur avait fallu plus de trois heures pour trouver la source de tous ces problèmes et ainsi finir Lost Requiem. Ce jeu de style MMORPG venait de lui. La plupart de ses collègues voulurent faire un FPS mais ils finirent par se ranger à ses côtés. Plus qu'un simple jeu de rôle, l'idée était de faire de ce jeu un véritable réseau social à part entière. Pour que le personnage d'un joueur puisse lui ressembler au maximum, on avait intégré de nombreuses possibilités et options lors de la création du personnage. Un serveur vocal était également ouvert à tous pour se familiariser avec la communauté et le forum était complet afin de pouvoir répondre aux questions de tous les joueurs. Tout avait été prévu, tout était parfait, absolument tout.
Il prit la télécommande et décida de regarder un peu la télévision pour se détendre. Mais, la quasi-intégralité des chaînes ne parlaient que du G2C, le Great Game Contest. Le plus grand concours de jeux vidéos et d'informatique au monde qui avait lieu une fois par an. Toutes les nouveautés sur les années à venir y étaient présentées: les plus performants des ordinateurs, les plus puissantes des consoles de jeux mais également les meilleurs jeux vidéos au monde ! La compagnie comptait y participer avec Lost Requiem, et c'était une des raisons de son stress. Il avait beaucoup à gagner mais également énormément à perdre: de grosses sommes d'argent étaient en jeu. Si ce pari fou réussissait, ce jeu rapporterait des millions voir des milliards d'euros. En cas d'échec, les investissements seraient perdus et la compagnie ferait faillite. C'est quitte ou double. L'argent et la gloire ou le désenchantement et le désespoir. C'est sûr, il prenait beaucoup de risques cette fois. Mais cette tension, aussi stressante soit-elle, lui plaisait.
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Les 7 péchés capitaux: de la renonciation au désespoir
Short StoryVoici l'histoire des 7 qui ont trahi leur coeur: la gourmandise, la luxure, la paresse, l'envie, la colère, l'orgueil et l'avarice. Avec l'aide et le soutien d'Asterwhite.