Plus que quelques jours avant le Great Game Contest. L'équipe avait déjà passé deux nuits blanches à cause d'un soucis survenu durant la tentative de mise en ligne du jeu. Les serveurs ne répondaient plus, l'ordinateur tournait depuis plus de quarante-huit heures et l'écran avait surchauffé au moins deux fois mais on y était presque ! La porte qui le conduirait vers la fortune s'ouvrirait bientôt à lui! La gloire et l'honneur d'arriver premier ne sont rien si on les compare à tous les profits qu'offrent la première place. Nul ne pourrait à présent bloquer leur route vers la réussite, entraver son ascension vers la fortune. Enfin, pas tout à fait. Il restait encore un certain nombre d'erreurs à corriger dans les graphismes du jeu, et en particulier dans la cohésion des textures. Les textures des différents décors fusionnaient et personne n'avait encore trouvé la partie du code en faute. Il fallu une journée supplémentaire de travail pour résoudre ce problème, le jeu était alors presque fini.
Assis dans sa chaise, Antoine testait Starlight Kingdom II. La fluidité du gameplay, l'harmonie des sons et la beauté des graphismes le subjuguait. Cela ne faisait aucun doute : ce jeu se vendrait. Le concours n'était qu'une formalité nécessaire pour remporter une grosse somme. La seule chose qu'il pouvait rester à parfaire dans ce jeu était la communication vocale entre les joueurs, mais ils avaient déjà prévue une mise à jour après l'évènement pour rendre les voix plus claires et audibles. Cependant, bien que fou amoureux de cette immense masse de lignes de code, ce génie de la programmation était encore troublé par la visite de la fille aux cheveux rouges. Il avait déjà une grande expérience des démarcheurs à cause de l'héritage qu'il avait reçu mais le comportement de cette dernière l'avait particulièrement marqué. Le flyer était d'ailleurs resté dans sa pochette de travail qu'il emportait partout avec lui. Le document était aussi étrange que le comportement de la fille, voir presque malsain. L'arrière-plan de couleur noir tapissait entièrement l'affichette, seules de grosses lettres en majuscules rouges se distinguait devant, formant une sorte de poème:
"Vous qui lisez ceci abandonniez tout espoir
D'une glorieuse vie sans larmes ni regrets,
Sans grandes souffrances car sont venues les Moires
Couper votre fil et vous tirer de la paix.Si vous me lisez c'est que Malheur a frappé
À votre porte et que nul ne peut vous aider,
C'est là cher lecteur que vous faites grande erreur,
Seule une personne peut vous tirer de la peur.Pour la retrouver, rien de plus simple,
Plus grand est votre désespoir,
Plus aisément vous y serez conduit."Ce lugubre poème s'arrêtait là. Il n'y avait rien d'autres sinon un copyright de l'imprimerie en bas de la feuille. Quelle absurdité ! Quel est l'intérêt d'envoyer une personne, censée récupérer de l'argent, distribuer des tracts aussi ridicules et délirants ! Ils n'ont même pas pris la fin de finir l'alexandrin, pauvre Baudelaire. Et pourtant, même après avoir passé des jours à le relire et le calomnier sans cesse, Antoine ne pouvait se résoudre à le jeter. Chaque fois que sa main enragée approchait la poubelle, ses doigts ne voulaient pas lâcher le bout de papier. Pire encore, alors qu'il lui semblait le ranger tout le temps dans sa pochette, il le retrouvait régulièrement sur son bureau ou la table de sa salle à manger. Démence ? Folie ? Magie noire ? Certains de ses collègues pensaient qu'il perdait la tête quand ils le voyaient râler après le carton publicitaire. Mais nul ne lui reprochait quoi que ce soit: sans lui le projet Starlight Kingdom II n'aurait été rien de plus qu'un rêve. Lui seul avait su déceler le véritable potentiel du premier opus et le remettre au goût du jour tout en le sublimant de sa virtuosité sans limites. On voyait en lui un véritable génie qui avait sombré dans sa passion. La vérité était ailleurs, loin, proche de l'autre monde.
Le lendemain avait lieu le Great Game Contest. Le jeu était enfin fini et complet grâce à leur efficacité. Ils avaient même apporté du champagne de qualité pour fêter l'évènement. Antoine discuta un peu avec ses collègues de quelques points techniques avant de rentrer chez lui et commencer à se préparer pour le lendemain. Il prit une petite valise argentée et y glissa son ordinateur portable, quelques costumes noirs et bleu marine ainsi que des affaires de toilette dont un parfum qui lui avait coûté près de 300€. Allongé sur son lit, de nombreux souvenirs lui revinrent en mémoire et en particulier de son enfance. Son père était mort peu avant sa naissance, laissant derrière lui un immense et héritage que sa mère avait dû gérer seule. Elle disparut à son tour alors qu'il avait douze ans d'une maladie cardiovasculaire, le laissant lui et une fortune colossale aux mains de son oncle. Cependant, dans le testament qu'elle avait rédigé en prévision de sa mort, elle stipulait clairement que son enfant était l'unique héritier de l'intégralité des biens qu'elle possédait, empêchant ainsi l'oncle de dilapider l'argent selon son faste et son goût excessif pour le luxe. De rage et de colère en apprenant la nouvelle chez le notaire, il se défoula sur son neveu. On ne pouvait imaginer plus impitoyable. Antoine s'occupait de toutes les corvées ménagères et autres basses besognes en plus de ses travaux pour l'école sans même rechigner. Ses valeurs morales, voilà le véritable héritage de sa mère. Impossible donc de les perdre ? Lavoisier rirait en disant que la vie n'est pas un conte de fées et ajouterait peut-être même que si rien ne se perd, rien ne se crée, tout se corrompt. Hélas ! Le pauvre Antoine, déjà accablé par le destin, vit son sens de la justice et ses principes se transformer, se matérialiser en les idéaux de son oncle. Shakespeare serait presque au bord des larmes en entendant: "Avoir ou ne pas être ? Tel est la question".
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Les 7 péchés capitaux: de la renonciation au désespoir
Short StoryVoici l'histoire des 7 qui ont trahi leur coeur: la gourmandise, la luxure, la paresse, l'envie, la colère, l'orgueil et l'avarice. Avec l'aide et le soutien d'Asterwhite.