Un cœur battant dans une cage de fer

Partie 1 - Le robot défectueux

Boum... boum... boum...

Une étrange pulsation le sortit de sa torpeur. Saccadée, irrégulière, mais suffisamment vigoureuse pour secouer son corps de spasmes incontrôlables. A chaque nouveau battement, des informations confuses et contradictoires s'entrechoquaient dans ses pensées nébuleuses. Ses sens eux-mêmes semblaient déréglés, asynchrones. Ses membres lui apparaissaient tordus dans une position hautement inconfortable, mais aucune forme de douleur ne lui parvenait. Un fracas métallique assourdissant faisait vibrer son crâne engourdi à l'intérieur duquel une multitude de voix conversaient dans une langue inintelligible. A ce torrent d'informations venait s'ajouter une cascade d'images floues et incohérentes, comme si son cerveau abritait simultanément les souvenirs de plusieurs vies parallèles.

D'un côté de son esprit, un homme barbichu le dévisageait avec terreur en crachotant une écume sanglante. De l'autre, une fillette à la tignasse dorée posait sur lui des yeux inquiets et rougis, la main droite posée sur le côté gauche de sa frêle poitrine.

Boum... boum... boum... Bien que chaque palpitation fût plus intense que la précédente, elles semblaient s'harmoniser peu à peu, battant une mesure effrénée mais régulière. Sa perception, à la fois du monde extérieur et de lui-même, parut également se préciser. Une étrange lumière orangée vint danser tout autour de lui. Ebloui par cet éclat soudain, il voulut lever un bras raide et pesant mais ne parvint qu'à remuer fébrilement les doigts. Ses jambes étaient elles aussi entravées par une masse d'objets informe qu'il ne pouvait soulever. Un sentiment de panique s'empara de lui et les battements s'emballèrent à nouveau. Il voulut crier mais ne put émettre aucun son.

Si tout lui indiquait qu'il était paralysé, il sentait pourtant qu'il était en mouvement. Sa vision brumeuse lui renvoyait un décor mouvant, comme s'il se déplaçait à une vitesse parfaitement régulière, suivant une trajectoire parfaitement rectiligne. Petit à petit, il discerna plus de détails. Il était vraisemblablement allongé sur le dos et faisait face à un très haut plafond serpenté de larges tubes et tuyaux, de câbles suspendus, de poutres branlantes. Sa nuque émit un grincement inquiétant alors qu'il pivotait la tête pour évaluer sa situation.

Quelque part au fond de son être brisé, une voix rauque poussa un hurlement horrifié par le spectacle qui s'offrait à lui.

Il était porté par une immense mer de cadavres glissant inlassablement sur une interminable ligne de rouleaux métalliques. Cependant, ces corps n'étaient pas ordinaires. La plupart étaient des machines à silhouette humaine, des automates anthropomorphiques arborant un buste en acier sommaire, deux jambes aux vérins imposants, deux bras couverts de fils cuivrés connectés aux pinces à trois mors qui leur faisaient office de mains. Vissés sur leurs cous rigides parsemés de câbles torsadés, leurs visages robotiques rongés par la rouille affichaient la même expression neutre et froide, imitant pathétiquement les contours d'une figure androgyne.

Mais ce qui l'avait épouvanté, la raison qui le poussait à se débattre de toutes ses forces pour s'extraire de ce funeste cortège, était que la plupart de ces machines étaient affublées de réels membres humains. Pâles et glacials, divers organes avaient été rattachés aux armatures de fer et branchés aux filins de cuivre par le biais d'une chirurgie macabre. Ainsi, certains robots étaient pourvus de mains difformes et boursoufflées pendant lamentablement au bout de leurs bras mécaniques. D'autres voyaient leurs parodies de visages décorées d'oreilles aux lobes déchirés, de nez aux cartilages tordus, de bouches édentées, ou encore de globes oculaires parcourus de vaisseaux sanguins violacés.

Non seulement la vue de ces sinistres pantins désarticulés de métal et de chair l'envahit de terreur, mais ils réveillaient en lui de nouveaux souvenirs venant s'ajouter à ceux qui se bousculaient déjà dans son esprit.