ACTE I - I - La Vin

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ACTE I


I

LA VIN


La pluie ne cesserait pas de tomber avant plusieurs heures. Pour Mihaël le constat était alarmant. La fatigue le faisait trébucher à chaque pas, la faim lui crevait le ventre comme une lame de couteau, et maintenant le froid mordait sa chair sous ses vêtements trempés, aidé par les gouttes d'eau qui s'abattaient en milliers de dards aiguisés.

Lui et Jak s'étaient rabattus vers la forêt des heures plus tôt, quand les feuillages touffus leurs promettaient un abri bienvenu face aux trombes d'eau annoncées par un ciel couvert et noir. C'était un détour, la logique aurait voulu qu'ils suivent la Vin, ce fleuve qui les mènerait à destination, mais Mihaël avait pris le pari. Au vu de la vitesse à laquelle les arbres se dispersaient, laissant la pluie s'infiltrer de plus en plus fort, il se disait qu'il avait sûrement fait une erreur.

Jak pressait le pas. Quand les arbres disparaîtraient ils seraient arrivés. Le guerrier ne doutait pas de ses chances de réussite. Il était immense, puissant, habitué au climat venteux et humide de Sparte, sa ville natale sur la côte loin au sud. Il s'inquiétait en revanche beaucoup plus pour son compagnon qui marchait légèrement en retrait, à qui il restait à peine plus d'espoir qu'ils n'avaient de provisions. Jak tira de la besace à sa ceinture les dernières bouchées de son pain de voyage, et Mihaël les attrapa d'une main tremblante et glacée, conscient de priver son ami de leurs dernières provisions.

Mihaël lisait en le guerrier comme dans un livre ouvert. Il était psion et c'était son don, un pouvoir d'empathie psychique, une malédiction autant qu'un atout. Quelle peine c'était de sentir la faiblesse du guerrier, et quelle honte c'était de connaître la pitié qu'il éprouvait. Mais Jak continuait d'avoir la foi, et le psion l'aurait suivi au bout du monde.


Mihaël fut attiré par quelques chose dans les broussailles. Il ne parvint pas à déterminer lequel de ses sens l'avait informé, ni même s'il y avait réellement eu quoi que ce soit d'intérêt. Comme il s'était arrêté Jak avait tirer sa longue épée bâtarde et jetait des coups d'œil apeurés autour de lui. Ce n'est qu'alors que le psion remarqua que la nuit était sur le point de tomber, nourrissant la terreur des deux compagnons. Il se concentra pour s'assurer que ses sens l'avaient trompé.

-Ce n'est rien, Jak. Baisse ton arme. La fatigue me fait voir des choses.

Malgré ses doutes, le guerrier baissa son arme. Il voulait croire que les dons de son ami étaient toujours aussi aiguisés. En vérité, déjà trois jours s'étaient écoulés depuis qu'il en avait perdu le contrôle,mais c'était un secret que le psion préférait taire.

-S'il te plaît concentre-toi Mihaël, mais ne ralentis pas. Mon épée est souillée par le sang et la rouille après tant d'affrontements. Si nous faisons vite et que nous restons vigilants nous serons vite à l'abri et la nuit ne nous effraiera plus. Mais hâte !


La nuit glaciale s'imposa vite, et les horreurs s'éveillèrent de leur sommeil diurne. C'était l'heure de la chasse, et aussi armés qu'ils fussent les deux aventuriers n'étaient guère plus que des amuse-gueules.

Mihaël fut prit de convulsions et ses yeux injectés de sang s'affolaient au fond de ses orbites, suivant les bêtes sauvages et les monstres, tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt vers la cime des arbres, et jusque dans le tissu brumeux de leurs pensées primitives. Plus qu'autour d'eux ils étaient dans sa tête, détruisant chaque pensée qu'il tentait de former, bravant les murailles de son esprit, écrasant son identité. Ne restaient que chaos, rage, terreur, et les besoins inassouvis de créatures à l'esprit malade et corrompu.

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