Acte I - IV - Dernier Jour

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IV

DERNIER JOUR


Prendre la brume du matin pour se réveiller, que peut-il y avoir de mieux ? Mihaël se levait toujours peu après le soleil, quand la rosée perlait encore d'émeraude l'herbe qui léchait le sable de la plage un peu plus chaque année. L'horizon s'esquissait à moins de cent pied dans le flou du brouillard où disparaissaient les flots tel des lames noires et aiguisées dans un duvet cotonneux qui avait même la décence d'étouffer les bruits du ressac alors que tout le monde dormait encore.

Assis dans le sable, il regardait l'eau aller et venir et rafraîchir la plage qui ne manquerait pas d'être étouffante au zénith. Les étés brûlaient toujours à Morte-Boue. Derrière lui s'éveillaient au village les lève-tôt qui devaient s'occuper des bêtes et des champs et des pâtisseries avant que l'agitation ne gagne les rues. Une odeur de croissants descendit la grève, puis une odeur d'œufs et de jambon grillé. L'heure du petit déjeuner. Et un joyeux fouillis indiqua à Mihaël qu'il était l'heure de revenir parmi les siens.

Pas de rues bondées malgré la foule, pas de précipitation malgré l'heure qui pressait, pas de hurlements. Juste une délicieuse odeur de nourriture qui continuait à emplir l'air, mêlée à l'odeur de sel entraînée par le vent. Quand Mihaël passa devant chez lui il jeta un regard alentour. Il habitait en haut de la première île de Morte-Boue qu'encerclaient les différents quartiers. C'est là qu'avait été posée les fondations, de là qu'était née cette ville. Il n'était alors qu'un enfant quand ils avaient quitté la côte pour vivre là. Maintenant que le brouillard se levait le continent se distinguait, loin, à l'horizon. Maudit continent qui n'avait jamais représenté pour lui que des ennuis, et loin, loin dans les terres, dans les contrées encore sauvage de l'est, une peine plus grande que toutes.

Une cloche sonna. « Je suis en retard ». Il se dépêcha de descendre la ville en prenant soin de ne pas glisser sur les pavés humides de rosée et arriva à nouveau sur la plage. Un banc de sable opérait la jonction entre la première et la seconde île où il se rendait. Il s'arrêta devant l'étal du boucher à qui il lança quelques pièces dans une écuelle et repartit avec une bonne tranche de jambon de cheval salée. Il l'avait déjà entièrement dévorée quand il arriva à l'école.

L'école de Morte-Boue avait été taillée à la façon des églises du continent, bien que les toits ne montaient pas si haut. En place d'autel se surélevait une estrade surplombée d'un tableau noir. Mihaël s'y installa et contempla ses élèves déjà confortablement assis derrière leurs petits pupitres.

-Vous êtes en retard, sire » s'exclama un grand.

-Pardon, j'étais absorbé par quelque chose. »

-Vous pensiez à votre amoureuse ? » demanda naïvement un petit qui n'avait plus toutes ses dents de lait, déclenchant l'hilarité générale. Mikhaël se contenta de sourire affectueusement au gamin, les yeux perdus dans le vide. « Ne perdons pas de temps, je vous ai déjà pris assez de minutes. Je vous avais promis de vous emmener sur un bateau halfelin et un capitaine actuellement au port a accepté de vous faire visiter. Rangez vos cahiers et sortez vous mettre en rang rapidement, vous n'aimeriez pas rater ça. » Les gamins n'en tenaient plus et coururent hors de la classe en jouant aux aventuriers, tous bercés d'images de haut-faits qu'ils étaient. Mihaël, lui, pensait à autre chose.

À la visite du bateau il fit peu attention. Son regard se portait toujours vers la mer, vers l'horizon, vers le continent, loin. Il n'arrivait pas à s'en détacher. Bien sûr il fallait tenir sa troupe de turbulents, mais une part de lui pensait au large. Sans son pouvoir, probablement n'aurait-il même plus remarqué la présence d'autrui. Et plus le temps passait, plus il se sentait happé par l'océan. Il fit un pas vers lui, puis un autre.

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