Le Chanteur du Clocher

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Le Chanteur du Clocher

Né le jour le plus froid de l'hiver, son cœur gelé est remplacé par une horloge. Le Docteur Madeleine lui prodigue quelques conseils à suivre s'il ne veut pas mourir.

"Premièrement, ne touche pas à tes aiguilles.

Deuxièmement, maitrise ta colère.

Troisièmement, ne te laisse jamais, au grand jamais tomber amoureux ... Car alors et pour toujours à l'horloge de ton cœur la grande aiguille des heures transpercera ta peau, tes os imploseront, et la mécanique de ton cœur sera brisée de nouveau."

La neige recouvrait la capitale depuis maintenant un mois. Tout était devenu plus lent, plus tranquille, plus paisible. Les habitants, d'abord surpris par de telles intempéries, avaient eu du mal à apprivoiser ce manteau blanc si froid et pourtant si fascinant. Cette nacre d'hiver avait quelque chose de magique et d'enfantin.

Minuit sonne au clocher de l'église. La ville, bercée par cette douce mélodie, s'abandonne à la nuit et suspend le temps. Les chiens cessent d'aboyer, les hommes ralentissent le pas et derrière l'imposante horloge du clocher un jeune homme s'assoit à son piano. Son visage est fermé, marqué par le temps. Un vent léger parvient à se glisser dans la bâtisse et un frisson lui parcourt l'échine.

Il retient son souffle jusqu'au douzième coup de minuit puis, dans un profond silence, il fait doucement danser ses doigts sur son clavier d'ivoire. Il se laisse emporter par sa musique sans artifices, témoignage de sa vie si singulière, et offre aux passants une délicieuse harmonie.

Pour ce musicien, la neige avait en effet quelque chose de magique, elle avait gelé son cœur. De peur que l'horloge dans sa poitrine cesse de tourner, il s'était réfugié dans ce clocher, à l'abri d'un danger omniprésent : L'amour. « L'amour est partout, il vous attend au coin de la rue ou derrière la porte d'un café. » Se répétait-il, tel un mantra, comme si il tentait de se convaincre lui-même qu'il n'avait pas eu le choix.

Bien que cloitré dans cette tour de pierre, le jeune homme avait tout de même un précieux ami. Un vieil horloger qu'il avait rencontré dans les couloirs de l'hôpital quand les médecins tentaient encore de comprendre le mécanisme de son cœur. Ils s'étaient en quelque sorte sauvés l'un l'autre.

Le vieil homme trainait depuis des mois dans cet hôpital, pleurant la mort de sa femme, jusqu'à ce qu'il croise le chemin de cet étonnant garçon. Il prit l'initiative d'entretenir les étranges rouages de l'enfant, traité depuis son plus jeune âge comme une vulgaire bête de foire. D'un commun accord ils investirent l'horloge du clocher et, au fil des ans, une certaine amitié était née entre eux.

Tous les soirs, à minuit, le pianiste laissait sa voix enchantée le cœur des citadins puis retournait à son bureau pour écrire à la lueur de la lune.

Il écrivait de tout : des chansons, des poèmes, des nouvelles. L'écriture, comme la musique, le faisait s'envoler.

Les pages se noircissaient, se chiffonnaient, finissaient la plus par du temps dans la poubelle puis laissaient place à une nouvelle page blanche.

Les paupières lourdes, le jeune homme finit par s'endormir sur sa plume.

Un faible murmure supliant sorti le pianiste de ses songes. Inquiet, il dévala les escaliers à toute vitesse pour découvrir aux pieds de ceux-ci un malheureux spectacle. Le cœur fragile du viel homme qui avait été comme un père pour lui, son seul et unique confident, avait cessé de battre.

Une douleur inconnue lui enflammât la poitrine, les aiguilles de son cœur transpercèrent sa peau, brisèrent ses os et dans un cri assourdissant il s'écroulât aux côtés de son fidèle ami.

 

**

 

-Je suis désolé Mademoiselle mais je ne peux publier votre histoire. Certes, votre plume est agréable et l'histoire est originale mais nous avons pour habitude de publier des biographie, votre roman n'entre pas dans nos critères.

L'homme en costume affichait un regard faussement compatissant.

-Vous ne comprenez pas, cet homme existe bel et bien. Répondit son interlocutrice un tantinet agacée et profondément désespérée.

-Même si cela est vrai, personne ne vous croira, répliqua l'homme en costume. Je vous conseille d'aller présenter votre histoire ailleurs, ici nous ne pouvons rien pour vous.

Découragée, la jeune femme reprit son ouvrage et claqua la porte avant de marmonner quelques insultes.

Elle avait passé trois ans, trois longues années à réécrire le plus fidèlement possible l'histoire d'un jeune homme qui avait découvert l'amour là où il ne l'attendait pas.

Cette demoiselle n'avait jamais rêvé d'être auteur, en réalité elle n'avait jamais écrit quoi que ce soit jusqu'à cette triste rencontre.

Tous les soirs elle écoutait le chanteur du clocher avec passion. Elle ne souhaitait qu'une seule chose, le rencontrer. Lorsque enfin elle prit son courage à deux mains et entra dans cette tour interdite, elle fut surprise par un hurlement atroce. Quand la jeune femme arriva aux pieds des escaliers, elle y découvrit les deux corps inanimés des propriétaires. Les joues de l'un étaient encore humides de larmes et son cœur n'était plus qu'un amas de pièces brisées mais son corps était encore chaud.

En atteignant la dernière marche du clocher, la curieuse trouva un véritable trésor. Des centaines de pages retraçant l'étrange vie du chanteur se trouvaient étalées sur un simple bureau en bois blanc. Sous toutes ses pages était caché un sublime Lys gravé dans le bois avec l'inscription « OMNIA VINCIT AMOR » : L'amour subjugue tous les cœurs.

Ce fut comme une évidence, il fallait qu'elle termine cette histoire.

En sortant de cette énième maison d'édition, la jeune femme se dirigea vers l'hôpital. Lorsqu'elle franchit les portes de celui-ci elle avait les larmes aux yeux. La malheureuse prétendait que c'était le vent violent qui soufflait dehors mais les infirmières n'étaient pas dupes. Elle entra dans une chambre où des machines peinaient à maintenir le patient en vie et, dans un souffle léger, presque inaudible, elle s'excusa d'avoir à nouveau échoué. Puis, telle une promesse, elle déposa un baisé sur la joue du jeune homme qu'elle avait décidé d'appeler Lysandre.

Un soupçon de moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant