Incubes

Vincent Dedienne était un homme de trente ans en plutôt bonne santé, pas particulièrement heureux, mais ne se considérait pas non plus malheureux. Il avait peu d'amis, ce qui lui convenait, faisait un métier qu'il aimait et menait donc une vie banale, mais qui le satisfaisait pleinement. Il y avait tout de même une ombre, plutôt importante, sur ce tableau. Une ombre qui importait beaucoup sur sa relation avec les autres, car elle était portée sur sa nature même. Bien sûr physiquement et mentalement il était humain, c'était plus au niveau de son âme que quelque chose différait de la "normalité". C'était un incube.

Un incube était un démon, dans des temps plus anciens, qui se servait des rêves et des fantasmes, de femmes ou d'hommes, pour assouvir son besoin sexuel. Encore aujourd'hui, quelques incubes sont à l'origine de crimes et de viols, car après avoir abusés de leurs victimes, ils absorbent leur âme, et ne pouvant s'arrêter ils récidivent. Même si certains échappaient toujours à la justice, Vincent était en dehors de tout cela. Il était un incube plutôt à part parmi tous les autres. Il refusait totalement de se soumettre à ce besoin bestial, qu'il détestait par dessus tout. Ne pas envoûter et exciter de potentiels amants, et ne pas absorber leur âme, étaient ses principes de vie qu'il s'était imposé. Cela le dégoûtait et il détestait devoir abuser des gens, c'était une chose qu'il ne pourra jamais faire.

Quand il commença à organiser sa vie autour de ce refus, une fatigue l'accabla de façon permanente, car il ne comblait pas ce besoin, presque vital finalement pour mener une vie plutôt normale. Il avait décidé d'éviter le plus possible d'avoir à côtoyer des gens au quotidien, cherchant un métier qui pourrait remplir cette condition, il se tourna naturellement vers le métier d'écrivain. Bon, il n'était pas un grand écrivain, il y reportait plus son besoin sexuel qu'autre chose, mais les ventes étaient au rendez-vous et il pouvait mener sa petite vie d'ermite en toute tranquillité. Cependant il savait qu'il ne pourrait jamais espérer avoir une relation sérieuse, et même si ça faisait cliché, Vincent s'en moquait et recherchait tout de même l'amour, le vrai, pas celui factice qu'il peut provoquer chez un humain.

Un jour de septembre, on sonna à la porte de son appartement. En allant ouvrir Vincent pensait voir son facteur habituel, un homme d'âge mûr très sympathique, mais un nouveau visage apparut à la place. Le jeune homme qui lui faisait face se trouvait être charmant, très charmant, se disait Vincent.

-Bonjour, vous êtes mon nouveau facteur ?
-Bonjour, oui. Je remplace mon collègue parti à la retraite. Je m'appelle Hugo. Enchanté, dit-il avec un sourire qui fit fondre Vincent.
-Eh bien, moi de même, fit-il en serrant la main d'Hugo.

L'échange se poursuivit quelques instants encore, puis Hugo partit continuer sa tournée. Quand Vincent referma sa porte, il mit un moment pour de se remettre de cette brève discussion qui ne l'avait pas laissé indifférent. Son nouveau facteur, qui se nommait Hugo, lui avait fait beaucoup d'effet, à tel point que l'on peut appeler ça un coup de foudre. Il était tombé sous son charme ravageur, et son nom tournait dans son esprit, sans qu'il ne puisse l'empêcher.

Les jours passèrent et heureusement pour le trentenaire, Hugo sonnait tous les jours, échangeant des banalités du quotidien, ce qui l'emplissait de joie. Son attirance pour lui augmentait de jours en jours, il paraissait de plus en plus désirable à ses yeux. L'incube en lui s'agitait à chaque regards échangés, à chaque parole prononcée par le facteur, son timbre de voix étant terriblement sexy. Cependant après quelques discussions, Vincent remarqua quelque chose qui le dérangeait chez Hugo. Le problème n'était pas dans ce qu'il disait ou faisait, non, c'était étrange. L'écrivain n'arrivait pas à se l'expliquer précisément. Le seul mot qu'il put mettre sur cette sensation fut malveillant, quelque chose lui inspira cette malveillance chez son facteur. Mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.