Si quelqu'un avait demandé à Neil Sherman de décrire son existence, il l'aurait qualifié d'échec cuisant. Non pas qu'il pensait être déjà arrivé au bout de ce long chemin qu'était la vie, mais s'il fallait en tirer une conclusion, là, tout de suite, alors qu'il s'apprêtait à souffler sur sa vingt-cinquième bougie, il ne trouvait pas d'autres mots plus exacts pour la définir.
À vingt-cinq ans Steve Jobs avait déjà créé Apple et Bill Gates faisait des millions avec Microsoft. À vingt-cinq ans la mère de Neil était déjà mariée et sa tante avait déjà deux enfants. À vingt-cinq son pote Ethan, avec qu'il avait passé l'intégralité de ses années lycée venait d'obtenir son master en aéronautique, son autre copain Jimmy venait de passer le barreau et même Jay avait réussi à sortir de l'ombre et vendre ses premiers albums de rap.
Mais si à vingt-cinq ans votre fête d'anniversaire se résumait à entendre votre collègue de soixante deux ans pousser la chansonnette pendant que votre fessier repose sur une chaise derrière un bureau miteux dans une salle sans fenêtre qui empeste l'humidité et l'encre et que votre gâteau est un donut rose troué au milieu sur lequel est planté une petite bougie de la même couleur, alors aux yeux de Neil votre vie était échec.
- Fais un vœu mon loulou !
Karen avait terminé de chanter et elle attendait que Neil souffle sur la bougie qui était déjà partiellement consumée, cela eut pour effet de le sortir de ses pensées. Obéissant à sa collègue il s'approcha de la flamme et tenta d'éteindre la bougie mais celle-ci opposa une résistance et vacilla à peine lorsque son souffle l'atteignit. Il réitéra mais là encore la flamme semblait affronter son regard avec insolence, comme décidée à ne pas faiblir. Déjà à bout de souffle après ces deux tentatives infructueuses, comme tout bon asthmatique qui se respecte, Neil perdit patience et écrasa la petite flamme entre ses doigts. C'est uniquement lorsqu'elle eut disparut pour de bon qu'il se souvient avoir oublié de faire un vœu.
Cette année s'annonce bien
- Félicitations ! s'écria Karen en l'enlaçant avec une force insoupçonnée. Bon anniversaire mon chou. Je souhaite que tous tes vœux se réalisent cette année, elle lui planta un baiser mouillé sur la joue.
Ça ne devrait pas etre très difficile puisqu'il n'en avait fait aucun, pensa t-il.
- Merci Karen, il lui rendit son étreinte un sourire poli sur le visage.
Au fond il se sentait coupable de ne pas considérer la présence de sa collègue comme un chouette cadeau. Après tout, Karen était une petite femme pleine de caractère au cœur grand comme une maison. Et puis, il avait de la chance qu'elle soit là puisqu'à part elle personne encore ne s'en était rappelé que ce soit ses collègues de bureau, ses amis éparpillés aux quatre coins du globe, ou encore sa famille qui se comptait sur les doigts de le main d'un manchot. Il fallait dire que supprimer son compte Facebook n'avait pas été sa meilleure idée, il ne pouvait plus compter sur le site pour rappeler à ses proches qu'il existait et qu'aujourd'hui était un jour spécial pour lui.
- Tiens, Karen fouilla dans son sac à main et sortit une enveloppe immaculé de petite taille. Ce n'est pas grand chose mais tout le monde a bien voulu jouer le jeu. Les gens du bureau ont participé, ceux des archives et même la brigade de Rosie.
- Je suis sûr que tu as menacé la moitié d'entre eux pour qu'ils y participent, s'amusa Neil.
Neil Sherman n'avait pourtant pas d'ennemis. En réalité il était tout particulièrement la coqueluche des vieilles dames parce qu'elles avaient presque toutes un petit fils qui lui ressemblait : aimable, respectueux, et quelque peu extraverti. La plupart des filles le trouvaient sympas et la plupart des garçons le trouvaient cool mais c'était sans compter sur Nathaniel Flinn et sa façon de le dénigrer à chaque fois qu'ils se croisaient dans les couloirs. Nathaniel était le plus grand ennemi de Neil mais il ne s'en rendait peut-être même pas compte. Nathaniel était trop obnubilé par sa propre personne pour s'en soucier à vrai dire, toutefois son existence tout entière rappelait à Neil qu'il avait échoué là où Nathaniel avait réussi ; que ce soit pour intégrer la brigade de Rosie Jackson ou encore dans cette guerre pour la conquête du cœur de Sara Shankle.
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When The Nice Guy Goes To Hell
ParanormalAvec son travail ennuyant, sa vie amoureuse à sens unique, et sa vieille chambre d'ado, Neil Sherman ne dirait pas avoir une existence très mouvementée. Du moins pas avant la mort d'un autre Neil Sherman, un des plus grands criminels de sa génératio...