À l'écoute, Záhada - Oskar Schuster
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« Si vous voulez être beaucoup aimé, beaucoup et souvent, soyez borgne, bossu, boiteux, tout à votre aise, mais ne soyez pas timide. La timidité est contraire à l'amour et c'est un mal presque incurable. »Anatole France, Stendhal~
Refermant rageusement son livre à la fin de sa lecture, Elie souffle. Était-ce si mal d'être timide ? À en juger par les propos de l'auteur, oui. Et bien qu'il refuse de l'admettre, c'était vrai. La stricte et dure vérité. Pour lui, sa timidité s'apparente à un dérangement qui le prend et l'asphyxie, l'assoiffe à en faire dessécher sa gorge. Pour lui, c'est cette irrésistible envie de s'exprimer, de parler, de dialoguer avec quiconque à s'en crever les yeux, envie à son plus grand damne non assouvie.Il aurait aimé s'intégrer, être comme ces personnes qui semblent si fortes et qui le sont. Ces personnes qui osent parler, qui sont si courageuses, qui ont un avis et qu'elles défendent, une logique de vie. Il aurait adoré être comme elles, pouvoir conter sa pensée, dire son opinion, débattre sur un sujet quelconque, ça lui importe peu de quoi il pourrait bavarder, l'essentiel pour lui est de le faire. L'impensable tâche ! Si seulement il pouvait, si seulement...
Il aime mieux se taire que d'attirer l'attention. Alors il reste seul, il s'isole, mais pas par envie, bien sûr que non, mais par contrainte, puisque personne ne veut lui parler, et qu'il n'est pas disposé à le faire, à quoi bon s'efforcer ? Les autres le jugent sans le connaitre, lui donnant des noms d'associable, de froid, de taciturne, de solitaire, l'accablant de tant d'adjectifs saugrenues et ambiguës. Parfois, il osait, il se demandait, se questionnait, l'était-il vraiment ? Était-il vraiment comme ces personnes le décrivaient ? Peut-être, que c'est sa façon d'être, mais trop fière de l'admettre, il se cachait derrière sa timidité maladive qui lui rongeait les entrailles. Et puis il se reprenait, il repensait à tous ces moments où il s'est haï de tout son cœur, la bile lui montant à la gorge, les mains moites, au bord de la crise de nerfs, et il se ravisait, il n'était pas comme ça. C'est impensable qu'il ait inventé tous ces épisodes, il ne manquerait plus que ça !
D'ailleurs, en y repensant, il en avait fait les frais quelques heures auparavant et il s'en veut, mais il ne peut rien y faire, il regrette simplement. Les regrets, ce qu'elle était dure la vie avec des regrets. Il souffle alors une énième fois en jetant un regard las et vide à la marée d'adolescents qui se bouscule devant lui, se remémorant sa désastreuse et regrettable matinée.
Il était assis dans sa salle de cours, à sa place habituelle au premier rang, sur le côté gauche. Il écoutait le cours d'une oreille distraite, occupé à dessiner des ronds sur son cahier, ennuyé. Ce n'est pas qu'il n'aime pas l'école, au contraire, Elie adore s'instruire, mais l'ambiance de sa classe ne lui convient pas. Tout ce petit monde était trop joyeux, certain bavardent d'un côté, d'autre à l'inverse, scotché aux lèvres du prof, essayent de répondre à ses questions, qui même en étant sérieux réussissent à s'amuser de cette activité. Et puis il y a lui silencieux, vide et incertain, plongé dans son mutisme habituel. Il les toise, les envie, les jalouse, et il se sent minable. S'il est dans cette situation, c'est bien sa faute, il n'a personne à blâmer si ce n'est son agaçante timidité. Tout est de sa faute, évidemment.
Regardant un point visible seulement par lui, il s'allonge sur sa table en soupirant toujours et encore, il est lamentable. Et il l'est encore plus, car il ne fait rien pour changer sa situation, il se contente de rester là, et de laisser sa timidité décider pour lui, comme un pantin désarticulé. Il se relève alors à cette pensée, allait-il vraiment passer le restant de ses jours comme ça ? Comme un minable passif qui ne fait jamais rien et ne sait jamais le faire ? Bien sûr qu'il ne le veut pas, alors il décide pour une fois qu'il ne resterait pas les bras croisés à maudire les autres et les envier, il va se reprendre en main et vaincre cette stupide timidité. Si seulement il l'a fait.
Elie se redresse sur sa chaise et se concentre sur les paroles de l'enseignant en face de lui, corrigeant un énième exercice au tableau. Certains de ses camardes levaient le bras en l'air, répondant aux questions avec tant d'entrain qu'Elie se dédie légèrement, incertain.
Était-il capable de s'imposer dans tout ce raffut ?
Il se mord la lèvre inférieure et note la correction tout en résolvant l'exercice comme les autres élèves, cependant mentalement. Et puis vint la question, celle sur laquelle tout le monde bloquait, même le professeur, découvrant pour ainsi dire le problème en même temps que ses élèves. Pourtant, pour Elie, la réponse paru bien évidente, elle était si simple cette question ! Il attendit alors patiemment qu'une quelconque personne la dise, pour ainsi la recopier et se féliciter mentalement.
Cependant, elle ne vint pas.
Tous essayaient, les propositions fusaient à une vitesse fulgurante, toutes plus erronée les unes que les autres. Et alors Elie s'est décidé à répondre, à clamer haut et fort qu'il savait, mais peut-être pas assez fermement.
Quand il ouvrit la bouche pour parler, ses cordes vocales avaient pris la décision d'être aux abonnés absents, sans le consulter évidemment. Elie est alors resté dans cette position quelque seconde, la bouche entrouverte, l'incertitude déformant ses traits. Il s'est ensuite senti stupide, très stupide, il était incapable de contrôler son corps, et il voulait attirer l'attention sur lui en décrétant que sa parole était la bonne ? Quel grand rêveur tu es mon pauvre Elie, se dit-il, tu partiras loin avec autant d'imagination !
Il soupire alors de nouveau, se mordant les lèvres de nouveau, un tic nerveux qu'il fessait bien trop souvent à son avis. Et alors, dans un dernier élan de courage, il rouvrit sa bouche pour la dire cette maudite phrase, et tandis qu'il commençait à peine, entamant de sa petite voix son premier mot, son corps lui répondant pour une fois favorablement, une autre voix, plus forte, plus grave, plus assurée, le coupe.
Il se raidit, le sort s'acharnait contre lui, c'est certain, quand il trouve enfin le moyen de s'exprimer, on le rognait. Il eut alors un sourire, faible et misérable, un sourire triste, sa parole était ce petit surplus furtif et ignoré, c'était ce qui ne devait être entendu, exprimer, l'ineffable. Et à son plus grand damne ça l'a toujours était, pourtant ce n'était pas faute d'avoir essayé de changer cela, c'était juste comme ça. Et il s'en voulait d'être comme tel, d'être envahi par tant de regrets, mais en même d'être soulagé.
Soulagé de ne pas avoir eu à parler, à affronter le regard désarmant des autres. Parce qu'évidemment qu'il méprisait sa timidité, mais d'un autre côté, il ne pouvait que l'aimer. Parce que grâce à elle, il n'avait pas à se sentir mal à l'aise, elle l'enfonçait petit à petit dans les profondeurs d'un contentement confortable qui le protégeait. Elle était sécurisante cette timidité, comme une maman qui veillait constamment sur lui, des fois un peu trop. Cependant, malgré tout cela, il ne se voyait vivre sans elle. Elie sans sa timidité, c'est comme Roméo sans sa Juliette, un beignet sans son glaçage, en bref, c'est inconcevable. Et c'est après cette pensée qu'il s'est remis plus confortablement sur son siège, étendant ses jambes sous sa table en regardant le plafond, résigné.
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A random story
RandomJuste de courtes histoires que j'écris à mes heures perdu.. Prouute~