chapitre deux

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            Louis courait à toute vitesse sur l'herbe humide, esquivant et jouant avec le ballon, passant la balle de temps à autre, la récupérant du pied de l'adversaire avant de l'envoyer s'écraser contre le filet de la cage adverse. S'en suivait quelques applaudissements des professeurs, quelques tapes hypocrites dans le dos, des encouragements, des félicitations, des visages similaires défilants devant le sien, lui répétant sans cesse les mêmes « Bien joué Tomlinson ! » « J'en connais un qui a progressé cet été ! On reconnaît les vrais battants ». Un vrai battant. C'était peut-être la chose la plus ridicule qu'il ait pu entendre. Comme s'il fallait se battre pour jouer, pour donner de l'élan au ballon et l'envoyer câliner le gazon de la cage de but. Il se contentait d'accepter ces félicitations injustifiées en forçant un sourire qui passait inaperçu depuis déjà des années.

La journée n'avait pas été très agréable. Le premier jour ne l'était jamais. Il fallait être levé à 6h pour pouvoir être dans la salle de déjeuner à 6h30 et assister au speech d'accueil qui durait une bonne partie de la matinée, prononcé à grosse voix par le directeur, un vieux bonhomme chauve et un peu trop gros, au front perlant de sueur et au double-menton suintant de graisse, nommé Walter Kane, à ne surtout pas confondre avec l'odieux personnage de Walter Keane, charlatan et usurpateur, espèce d'États-Unien ou d'Américain, peu importait le terme exact. Ce dernier point était celui auquel Walter Kane accordait une importance toute particulière, étrangement. Comme si naître anglais aurait pu empêcher Walter Keane de s'approprier le talent des autres et de devenir l'un des voleurs les plus célèbres de sa génération. Une illusion dérisoire de nationaliste sûrement.

Après le long discours rappelant le nombre incalculable de règles devant être appliquées et respectées à la lettre, Mr Kane avait donc fait la répartition des classes, groupe par groupe, classe par classe, énumérant chaque nom, chaque prénom, allant des Anderson aux Walter sans oublier les Cameron et les Morrison. On avait encore demandé à ce que la devise de l'école soit énumérée. Encore un moment pendant lequel on distinguait sans peine les première-années, récitants avec entrain, parlants forts, le dos droit, les mains en croix, des dernière-années qui, après 7 ans de cette pénible routine, se fichaient de cette récitation comme de l'évangélisation anglo-saxonne du VIIème siècle. "Aut dosce, aut disce, aut discede !" -littéralement "Enseigne, étudie ou retire-toi"- résonnant dans la salle, prononcé par toutes sortes de voix, allant de la plus grave à la plus aigüe. 400 voix à l'unisson pour honorer la fabuleuse, la grande, la majestueuse académie qu'était Lakewood, connue pour ses cerveaux épuisés, ses salles de classes datant de l'époque de Richard Coeur de Lion et ses professeurs aussi sévères que des évêques.

En courant pour rattraper le ballon qui filait vers l'opposé du terrain, Louis passa devant Mr Campbell et son moral chuta instantanément. Il se rappela que cet imbécile de Campbell allait encore avoir le plaisir de lui enseigner le latin cette année. Comme si se farcir Campbell trois ans ne lui avait pas suffi, il lui fallait une quatrième année. Encore une fois, l'attribution des classes et des professeurs n'avait pas joué en sa faveur. Les matières ne l'intéressaient toujours pas, il avait les mêmes imbéciles pour professeurs et les mêmes poupées de porcelaine intelligentes et mobiles en guise de camarades de classe. Comment être dégouté de son année avant même qu'elle n'ait commencé. Il avait déjà une liste de vocabulaire latin à ingurgiter dans la soirée, un essai à rendre pour le lendemain et un rapport historique à rédiger. Heureusement que les sélections de l'équipe de "soccer" avaient lieu le premier jour, sans quoi Louis aurait déjà probablement fait le mur pour partir à l'aventure, fuir tel un Rimbaud moderne en quête de son Verlaine, jouant de la rhétorique durement maîtrisée pour écrire des poèmes rêveurs et marcher à s'en crever les souliers. Quelle belle vie.

Louis tira dans le ballon et ce dernier heurta violemment les mailles du filet serré. L'arbitre siffla. Fin du match. L'équipe n°2 l'emportait. Nouvelle tournée de poignées de main et d'accolades, puis direction le dortoir, la maison, retrouver ces onze gars un peu bizarres qui lui servaient de famille environ trois cents jours dans l'année (sans compter les vacances).

LakewoodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant