Sur le quai de la gare, Amixem passe d'un pied sur l'autre, la tête ailleurs, les sourcils froncés et le regard fixé sur ses chaussures. Dos à la brise fraîche d'avril, il a les mains enfoncées dans les poches de sa vestes, poings serrés.
« - Mesdames et Messieurs, un train est en approche, pour votre sécurité, veuillez vous éloigner de la bordure du quai. »
Le youtubeur a un sursaut incontrôlé. Le train annoncé arrive en gare, et, au travers des fenêtres qui défilent, le jeune homme tente de reconnaître une silhouette, un visage, un éclair de cheveux flamboyants. Trop préoccupé Maxime ne s'écarte pas pour laisser passer les voyageurs qui descendent. Il tente de voir l'intérieur du wagon. Pourtant, la personne attendue ne se montre pas, et de nouveaux inconnus prennent place sur les sièges en moquette bleue. Dans un bruit aigu, le train repart.
- Ce n'était pas celui-là, souffle Amixem, déçu.
Ou, du moins, il l'espère.
Quelques minutes passent encore. Maxime ne veut pas s'asseoir, il est debout au milieu du quai, les gens passent autour de lui, le contournent, le bousculent, mais il ne s'en offusque pas. Il semble être en dehors de tout ça, loin de cette gare malodorante, perdu dans de sombres pensées. « Va-t-il venir ? M'a-t-il abandonné ? Peut-être qu'il a eu honte ?... Ou alors, il est redevenu hétéro depuis... Si ça se trouve, il a manqué son train. »
« -Le train en partance de Lille, direction, Angers, va entrer en gare. Pour votre sécurité, veuillez vous éloigner de la bordure du quai. »
Amixem relève vivement la tête. C'est l'instant de vérité. Celui qu'il aime et désire plus que tout se trouve-t-il à bord ? Les portes coulissantes s'ouvrent lentement... Dans la marée humaine qui se déverse autour de lui, il voit, encore dans le train, se préparant à sortir, briller une étoile couleur de feu. Amixem tente de calmer les battements désordonnés de son cœur. Cela pourrait être n'importe quel roux... Pourtant, au fond, il sait que c'est Lui. Tout son corps le lui hurle. Mais il y a trop de gens. Bien trop. « Merde, pourquoi tous ces crétins se sont mis entête de faire Lille-Angers aujourd'hui ?? » Si le flot ne se tarit pas, les portes se fermeront avant qu'Il ne soit descendu !
Un voyant lumineux et sonore s'allume, et la voix désincarnée s'élève une troisième fois.
«- Attention à la fermeture des portes ! »
Sans réfléchir, Amixem se jette vers l'avant, saute sur le marche-pied et se faufile à temps entre les deux battants. Perdant l'équilibre, il s'écroule à l'intérieur du wagon, dans les bras d'un homme vigoureux, qui l'empêche de tomber plus bas. Plusieurs personnes crient de surprise.
- Toutes mes excuses, marmonne Maxime, en levant le visage vers son sauveur, dans le train qui s'est mis en mouvement.
« Vite, Cyril ». Il ne peut penser à autre chose.
Il se trouve qu'il reconnaît la teinte mordorée des yeux qu'il croise. C'est lui. C'est Superkonar, qui, le voyant se précipiter dans le wagon, l'a enfermé dans son étreinte. Pas besoin de pousser la réflexion plus loin ; il est venu à leur rendez-vous. Il l'aime toujours. D'un même élan, ils précipitent leur bouche l'une contre l'autre et échangent, au milieu de la foule ébahie, un baiser passionné.
Lorsqu'ils se redressent, les gens se sont dispersés, et ils sont seuls.
- Salut, dit Maxime d'une voix rauque.
- Salut, lui répond Cyril, avec un sourire timide.
En se tenant par la main, ils vont s'asseoir sur deux places côtes à côtes, dans un wagon presque vide. Ils sont involontairement partis pour une gare inconnue.
- On descend à la prochaine ? On prendra le prochain train vers Angers...
Cyril à la voix hésitante, comme s'il n'aimait pas vraiment ce qu'il est en train de proposer.
- Tu es sûr ? On est parti pour un week-end improvisé en amoureux, avec une destination pas déterminée. C'est génial, non ?
- Carrément.
Ils gardent quelques instants le silence, Superkonar la tête posée sur l'épaule d'Amixem, bercés par le bruit des aiguilles d'une veille femme en train de tricoter quelques places plus loin.
Petit à petit, derrière les fenêtres, le paysage se fait plus sombre. La nuit, doucement, reprend ses droits sur le monde, sous les yeux d'un couple paisiblement enlacés. Le train roule à une vitesse constante, et se cargaison de voyageurs s'effiloche de station en station. La mémé qui tricote est toujours là, et ils sont rejoints à un moment par un homme d'une trentaine d'années avec un casque sur les oreilles. Personne ne parle, tout le monde sourit. Lorsque le nom des gares auxquelles ils s'arrêtent ne leur dit plus rien, Cyril et Maxime, avec le sac de Cyril à l'épaule, descendent du train. Ils sont maintenant dans une campagne verdoyante.
Ce quai là est désert, beaucoup plus petit, avec seulement un bac de bois. Il fait plus chaud qu'à Angers. L'air est chargé du parfum de touts les arbres sauvages en fleur, et le sol est parsemé de pétales légers. Ensembles, ils descendent, et s'engagent dans un petit chemin, à peine carrossable. Partout, sur les branches, dans l'herbe haute et verte, des fleurs de toute sorte.
- J'avais oublié le printemps à la campagne.
Encore quelques pas.
- Mon portable est chez moi.
- Et le mien n'a plus de batterie.
Amixem repense soudain à quelque chose.
- Je n'ai pas ton cadeau d'anniversaire ! Il est chez moi, du coup... Désolé...
- Le plus beau des cadeaux, c'est d'être dans cet endroit,avec toi.C'est si beau...
La tête renversée en arrière, ils contemplent l'infinité d'étoiles qui brillent dans le ciel pour peu que l'on s'éloigne des réverbères des grandes villes. Amixem se força à dire ce qui lui brûlait les lèvres depuis le début.
- Je t'aime.
- Je t'aime, Maxime.
Le chant des oiseaux tardifs et des premiers grillons accompagna leur expédition nocturne, témoins de leur amour aussi beau que les fleurs du printemps.
