Chapitre un – Extialis
Extialis s'accouda au tableau de bord et laissa son regard se perdre à travers la vitre inondée de gouttelettes. La vitesse du cargo les envoyait vers cet océan noir qui grondait sous lui.
La jeune femme commandait un équipage depuis la dernière saison sèche. À part quelques Olophars rétrogrades, personne ne l'avait critiquée quand son père était intervenu en sa faveur auprès du ministère des Transports pour succéder à un vieux pilote qui déposait son brevet.
La guerre et ses exigences avaient vite réduit les misogynes au silence.
Extialis émit un soupir désabusé.
Aujourd'hui, le conflit accaparait jusqu'au plus jeune mâle en âge de travailler. Au-dessus de la mer continuellement déchaînée, une vingtaine de navires allaient et venaient entre Meygis, dit le caillou, et Araneis, le continent agricole.
Dix-sept ans auparavant, cent parcouraient la distance.
Vaail, la grosse lune orange qui leur cachait le soleil pendant l'hiver, éclaircit un peu la nuit. Les nuages se teintèrent d'orange, la pluie devint orange et Nohalar, son second, entra dans la cabine pour prendre son quart.
Sans un mot, Extialis lui abandonna les commandes.
Ce matin, la nostalgie lui enflait le cœur. Étrangement, pour la première fois depuis sa nomination, le cargo lui semblait vide.
En arpentant les couloirs d'acier, elle rumina son enfance.
Petite fille, elle suivait son père sur des quais débordants d'activité. À l'époque, il dirigeait le service des exportations. Quand le soleil brûlait Mirehazz, elle passait ses soirées à observer les déchargements et les embarquements.
Au son des pilules triées et déversées dans des pots alimentaires, elle avait toujours préféré les vibrations des électro-aimants. L'odeur de la graisse des automates enfermés avec les ouvriers dans les usines sans fenêtres s'opposaient à celles de l'iode, du minéral et de la sueur des débardeurs. Le noir et le clair.
Les paliers métalliques tintaient sous son pas. Elle s'arrêta et se pencha par-dessus la balustrade.
En bas, sur à peine un tiers de la capacité du navire, les conteneurs gris restaient sagement arrimés.
Extialis voyait là deux coffres de lasers, quatre de médicaments et un petit réservé à la communication entre les soldats qu'elle planquerait avant l'appontage.
Elle soupira.
Pas question de se le faire confisquer par la douane, celui-ci, elle culpabilisait déjà assez d'armer l'ennemi. Mais il fallait bien nourrir les habitants du caillou et produire les capsules médicinales dont les matières premières dépendaient des cultures d'Araneis. L'enjeu de cette guerre entre les deux continents de Mirehazz se situait dans leur assiette, tout simplement.
Elle ouvrit la porte de la cantine sur six vieillards qui conversaient à voix basse. Le reste de l'équipage, entièrement féminin, se douchait en ce moment.
Elle choisit trois gélules, happa une bouteille de cosol, s'installa près d'un hublot et contempla la pluie qui n'en finissait plus de tomber.
Au moins, les xylacoms leur foutraient la paix, songea-t-elle en avalant la première pilule.
À cet instant, les femmes entrèrent, saluèrent les anciens et se servirent en silence.
Laxa s'affala sur la banquette en face d'elle et écouta les consignes de la journée. Sid formait l'adolescente à la réparation des équipements électriques.
Le vieil homme devrait encore veiller.
Extialis le regarda se redresser avec difficulté.
— Vas-y, il est crevé.
Sid l'instruirait pendant cent unités puis Laxa rejoindrait les autres en salle des moteurs.
Avant, naviguer était réservé aux orkas. Laxa était ourale.
Éreintée, Extialis gagna sa cabine. Trois jours non-stop de pilotage l'attendaient demain. Ils approchaient Araneis, le pays fertile où se déroulaient les combats. Dans trois jours, elle affronterait les lumières artificielles du port de Ruanja, deux immenses rangées de phares sur un boudin de côte bétonnée.
***
Le lendemain soir, au moment où elle s'apprêtait à remplacer Nohalar, le radar la sortit brutalement de sa torpeur.
— Détection. Humain immergé.
Extialis se précipita vers l'écran.
— Un point de contact est possible ?
— Dix unités.
Extialis saisit la radio et sa voix fébrile retentit dans toutes les pièces.
— Opération sauvetage ! Préparez-vous à une rencontre dans dix unités !
***
Au cœur des soutes, Laxa regarda Sid.
— Tu ne m'as pas montré cette commande.
— C'est le moment. On file en trois.
Il lâcha ses outils et l'entraina dans les coursives.
— Ça arrive souvent ce genre de manœuvre ?
— En cinquante ans de travail, je n'ai réalisé ce protocole que quatre fois et on n'en a attrapé aucun. Les courants sont trop forts.
— Pourquoi tu stresses, alors ?
Sid poussa la porte de la cale trois et se dirigea vers le pupitre.
— T'appuie là.
Elle enfonça la touche désignée. Le plancher s'ouvrit sur la mer déchaînée et son grondement incessant. Un vent iodé tournoya dans la soute.
— Heureusement que le cargo est insonorisé !
Sid entra des instructions sur un clavier et un lourd filin descendit un pavé aimanté.
— Ce câble lui offre une chance infime, mais réelle ! hurla-t-il pour couvrir le vacarme.
— Toujours optimiste, hein ?
Le vieillard se contenta de lui jeter un coup d'œil. Laxa, dix-sept ans, l'âge du début des restrictions avant la famine à proprement parler, ne connaissait pas l'espoir. Lui avait vécu les congés sur Araneis, les vrais légumes, la saveur de la viande juteuse et les fruits succulents du continent magique.
Les haut-parleurs le ramenèrent à la réalité.
— Rencontre dans deux unités !
Curieuses, trois autres filles déboulèrent dans la soute envahie du fracas des courants furieux.
Sid savait que ses compagnons suivaient plus lentement. Personne n'aurait raté un hypothétique sauvetage.
— Impact !
Au mépris du danger, Laxa s'aplatit au sol et observa les flots orangés. Soudain, la corde se tendit, l'aimant avait accroché quelque chose.
Sur l'écran de surveillance, Extialis vit une main s'agripper au câble.
— Remontez ! brailla-t-elle.
Elle posa le micro et se tourna vers Nohalar.
— À toi la barre !
Et elle se lança à l'assaut des escaliers de métal.
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Mirehazz
FantasyUne âme scientifique traverse la porte ouverte par Araya il y a des millions d'années. Cet esprit demande de l'aide et Ayrial, désormais propriétaire de Gahila qu'il a gagné lors d'une bataille mémorable, répond à ce SOS.