un. no.

20 3 0
                                    

Je porte le vêtement de celle qu'on adore détester. Et je dois bien avouer que ce costume me sied. A vrai dire, je suis celle qu'on adore détester.

Le lycée entier me reconnaît, m'admire. Pour certains, je suis le cauchemar le plus terrifiant, pour d'autres, le plus beau fantasme. Beaucoup me haïssent, mais tous, sans exception, souhaitent m'approcher, comme des centaines d'Icares attirés par le soleil.

Lundi, huit heures, une énième semaine de gloire commence. J'adore le lundi. Je peux sentir chaque regard me caresser alors que je traverse le couloir d'une démarche assurée. Le lundi, les soupirs sont plus envieux, les gestes plus harmonieux. Et ce premier jour plus que n'importe lequel de nos semaines de cours, je me sens forte. Je peux presque ressentir une couronne se poser sur ma tête. Alors je lève le menton. Et je guette la foule désynchronisée s'écartant à mon passage.
Je dépasse un groupe de secondes, assis au sol, sans un regard à leur égard. Au bout du couloir, je vois Jamie, Older, Nikolas et Arielle. Les quatre étudiants les plus respectés et admirés du lycée. Après moi. Leurs visages se tournent vers moi presque simultanément alors que j'esquisse un sourire. Mais une silhouette me barre subitement la vue.

« S-salut Noém... No ! Je-je voulais te fél-féliciter pour hier, tu as été f-fantastique ! ... Pardonne moi si je t'ai dérangée ! »

L'élève venant de me couper dans mon élan me surplombe de sept centimètre de par sa taille mais a autant de charisme qu'une huître.
Sarah. Elle fait partie de ceux qui me craignent autant qu'ils m'adulent. Seulement, celle ci est assez idiote pour m'arrêter et prononcer plus de deux lettres de mon prénom. Erreur maladroitement rattrapée. Afin de lui faire comprendre sa faute, je ne lui adresse qu'un regard froid, assistant en silence à la décomposition de son visage.

Hier, deux mille personnes rivaient leurs yeux sur moi. Y compris Sarah. Deux mille personnes auxquelles je n'ai adressé qu'un regard inexpressif avant de poser mes yeux et mes mains sur quatre vingt huit touches. Je me régalais du silence du public devant ma musique tout autant que je me délecte de l'anéantissement visible de Sarah face à mon absence de réaction.

« Merci. »

Ce mot fut bref, prononcé sans émotion, mais avec le sourire dont j'ai le secret. Un malicieux étirement de mes lèvres et une légère contraction de ma joue gauche. Amoureusement assassin.
Alors que je m'éloigne, je peux sentir l'âme de la blonde s'évaporer, comme graciée par ma parole.

Enfin, je rejoins les quatre divinités, complétant le panthéon. Arielle me plante un baiser sur la joue droite, que je lui rend sur sa joue gauche, agréablement maquillée de rose pâle. Près de nous, le grand métisse me presse légèrement l'épaule en riant.

« Tu as du succès auprès des blondes aujourd'hui !

- Auprès de tous Older. »

Je le corrige avec un clin d'œil. Du haut de ses deux mètres, il fronce un peu du nez. Son véritable nom est Matthieu Helders. Mais, en raison de ses deux redoublements, il se vit attribuer le surnom de Older. Bien entendu, cet acronyme n'est utilisé que par Jamie, Nikolas, Arielle et moi. Qui d'autre serait assez confiant pour se montrer aussi familier avec cette masse de muscle ?
Les regards restent inévitablement attirés par notre groupe. Cette importance que les étudiants nous attribuent me remplit d'une chaleur indescriptible. Un sentiment grisant de puissance dont je ne peux plus me passer aujourd'hui. La lumière des projecteurs m'est comme vitale, autant sur scène devant mon piano qu'ici, au lycée, devant une nuée d'adolescents insignifiants.

Notre popularité n'a rien à voir avec la beauté. Bien sur, nous sommes loin d'être d'immondes créatures. Mais Sarah, par exemple, n'a rien à m'envier sur le plan physique. Ses cheveux blonds dorés encadrent son visage ovale. Ses yeux sont certes un peu petits mais l'ensemble a un certain charme. Seulement, Sarah n'a pas la moindre prestance. Ses épaules sont contractées en permanence, son menton pointe toujours vers le bas, et son dos croule sous le poids de son sac et de sa timidité.
Le secret de la popularité c'est la force. Être le plus puissant, le plus charismatique. Avoir du répondant. Être inaccessible. Ces qualités ne doivent pas être utilisées pour le bien. La gentillesse est trop facile, trop naturelle, trop peu respectée. C'est en étant indifférente au monde qu'un simple de mes « merci » impressionne. C'est en ignorant les remarques haineuses de quelques élèves suants de jalousie que mes tâches de rousseurs sont enviées. C'est en inspirant la crainte que je suis admirée.

Du haut de mes dix huit ans, je règne sur mon monde.

CréaturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant