Oublie-moi

Chapitre 1: Départ

" Nous sommes de la même étoffe que les songes, et notre vie infime est cernée de brouillard..."
-William Shakespeare, La Tempête (1611)-

La vie est faite de changement et d'imprévisibilité que nul ne peut empêcher. Tout ce que l'on possède aujourd'hui peut à tout moment disparaître en un instant. Chaque homme ne réagit pas de la même façon face à cela. Certains verront ces bouleversements comme une opportunité de recommencer à zéro, mais d'autres auront le sentiment de tout perdre et de ne pouvoir jamais revenir en arrière. C'était à cette seconde catégorie de personnes que je faisais partie lorsque mes parents m'avaient annoncé notre déménagement express dans deux semaines vers le continent américain et plus précisément au Canada. J'étais effondrée à l'idée de quitter ma petite ville anglaise et surtout de laisser mes amis proches. Contrairement à moi, ma petite soeur semblait tout à fait réceptive à cette annonce.

- Eve, calme toi s'il te plaît, dit calmement ma mère, ton père n'avait pas le choix. C'était soit le licenciement, soit la mutation.

Je pris un grand bol d'air et allai en direction de ma chambre. Je m'allongeais sur mon lit et fixais mon plafond, qui était orné d'étoiles fluorescentes. Les regarder m'aidait à m'apaiser et à avoir les idées claires. Les larmes commencèrent à couler sur le long de ma joue. Je voulais tellement pouvoir débuter et finir ma dernière année au lycée ici, entourée de mes meilleurs amis... rien que de penser aux adieux me faisait mal au coeur.

Deux semaines s'étaient écoulées et le jour du départ était arrivé. Je n'avais même pas vu le temps passer avec tous les préparatifs qui avaient à faire. Mes amis m'avaient organisée une grande fête surprise d'adieu, mes parents s'étaient occupés des papiers du déménagement et autre paperasse pour l'immigration, des cartons... et ma soeur, comme à son habitude, ne faisait pas grand chose à part discuter des heures au téléphone dans sa chambre à des amis, qui étaient partis en vacances à l'étranger. La maison s'était rapidement démeublée et voir ma chambre vide la rendait étrangement plus grande que je ne le pensais. Après avoir fait un dernier tour de visite de la maison de mon enfance, ma mère tourna les clés une dernière fois dans la serrure pour la fermer définitivement.

- Tout va bien se passer là-bas ma chérie, ne t'inquiète pas tu vas vite retrouver de nouveaux amis.

- C'est pas ça le problème maman... c'est juste que ça ne sera pas pareil...

Après ce bref échange avec ma mère, je montais dans la voiture posant une ultime fois mon regard sur ce qui sera mon passé. Nous arrivâmes à l'aéroport de Birmingham après plus d'une heure de route. Il était neuf heures du matin, il y avait déjà pleins de gens à l'intérieur. Les bagages enfin déposés, nous devions encore attendre deux heures avant de pouvoir entrer dans l'avion. J'en profitais donc pour en savoir plus sur ma nouvelle vie au Canada.

- Ta soeur et toi vous irez à Saint Charles School et...

- Attend papa, t'as bien dit Saint Charles School ?!!! coupa ma soeur.

Elle semblait toute excitée et sautait de joie. Mes parents étaient tout sourire alors que moi je n'y comprenais rien du tout.

- A force de sauter comme ça, tu risques de te fouler la cheville, ironisai-je.

- Non mais Eve, tu ne connais pas ce lycée ou tu le fais exprès ?!

- J'ai l'air de faire exprès ?

Elle roulait les yeux tellement elle était exaspérée de mon comportement et de mon ignorance.

- Saint Charles School se trouve à trente minutes de Toronto et c'est le meilleur lycée de tout le pays !!! L'élite canadienne se trouve tous là-bas !!! Je suis trop excitée !!! Mais, au fait comment vous allez payer les frais de scolarité ?

- Oh non papa, maman vous avez pas...

- Eve, écoute ta mère et moi nous voulions que le meilleur pour vous et c'était la seule solution. Regarde ta soeur, elle est toute contente.

- On n'a pas besoin de l'argent de tante Sarah !

Tante Sarah habitait au Canada et était, comment dire, une femme extrêmement hautaine et sans coeur envers les personnes autres que sa petite famille. C'était la soeur de mon père, cependant tout les séparait. Son mari avait fait fortune dans l'immobilier et était donc très riche voire immensément riche. Malgré un patrimoine gigantesque, elle était très jalouse de notre famille. Ma soeur et moi étions assez bonnes en classe alors que sa fille unique chérie ne s'intéressait pas aux études mais juste aux garçons et à son physique. Cette image faisait tellement cliché de la fille garce typique dans les romans et dans les films, mais malheureusement ce genre de personnages existait et sous le trait de ma cousine Julia.

- On lui remboursera la somme petit à petit ne t'inquiète pas et elle n'est pas si méchante tu sais, c'est quand même ma grande soeur.

Mon père était si content que nous allions à cette prestigieuse école que je n'avais plus la force de répliquer ou de critiquer les choix de mes parents. Les deux heures d'attente s'étaient, à ma grande surprise, écoulées rapidement et nous pûmes prendre place dans l'avion. Près du hublot, je voyais les nuages flotter, le sol devenait de plus en plus petit à mesure qu'on prenait de la hauteur. C'était à ce moment précis que je pris réellement conscience que rien ne pouvait me faire revenir en arrière. Mais, l'excitation de ma soeur et de mes parents m'avait atteinte. J'avais hâte de découvrir cette nouvelle vie qui s'ouvrait à moi.