Souvenirs d'Enfance

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C'est décidé, j'aimerais rendre hommage à ma défunte sœur que j'ai depuis longtemps oubliée, par le biais de l'écriture. Je ne bougerai pas de mon bureau avant d'avoir couché sur papier tous mes souvenirs. Il fait encore jour, mais l'obscurité de ma chambre étant, j'ai tout de même allumé une petite bougie. L'encrier est plein et ma plume toute neuve. Il s'agit pour moi d'effectuer une sorte d'introspection pour revenir sur les épisodes de notre enfance et garder une trace écrite de ce qu'il me reste en mémoire. La vieillesse prends de l'ampleur mais je ferai de mon mieux pour rendre ce récit le plus fidèle possible à ce que fut mon passé. Notre passé.

Nous sommes nées le même jour, à la même heure. Les premières années de notre existence sont assez floues dans mon esprit, il n'en reste que quelques bribes, quelques images fugaces de la maison de nos parents et de nos premiers jours d'école. Ce qui est certain est que ma sœur et moi étions toujours ensemble. Je n'ai pas un seul souvenir d'instant sans elle à mes côtés, et cet épisode reste très clair dans mon esprit, je me rappelle parfaitement de ce jour passé chez nos grands parents. Nous étions toutes les deux dans le jardin à jouer à cache-cache avec nos cousins ; le jeu s'effectuait en équipe. Ah ! quelle belle journée que celle là ! Le soleil faisait briller la chevelure dorée de ma sœur, faisant rayonner son teint pâle et les traits si fins de son doux visage. J'ai toujours secrètement jalousé sa beauté. Plus on vieillissait, plus mes traits s'endurcissaient et mes cheveux perdaient de leur éclat. Elle, garda toujours sa douce beauté juvénile, ses pommettes toutes rosées, son visage un peu joufflu et ses yeux... ses yeux d'un bleu clair profond comme on en voit rarement, un regard qui rendait grâce à sa pureté et son innocence. J'aimais me plonger au plus profond pour y trouver l'émerveillement naturel de la jeunesse, la découverte, l'innocence... Un regard que j'ai partagé durant toute notre jeunesse mais qui s'est éteint comme la flamme d'une bougie à force que je grandissais. Elle, le garda toujours. Comme nous étions belles toutes les deux dans nos petites robes bleues ! C'est grand mère qui nous en avait fait cadeau, ainsi qu'une belle paire de petits souliers noirs vernis. Déjà que nous nous ressemblions comme deux goûtes d'eau, porter les mêmes vêtements nous rendait méconnaissables ! Bien entendu nous en jouions à en rendre fous nos parents et ils nous punirent plus d'une fois pour avoir abusé de notre ressemblance.

Enfin, nous étions toutes deux dans l'immense jardin des grands parents dans leur maison de campagne. Le ciel était bleu, sans un nuage, le soleil éclatant faisait rayonner la pelouse verte et se perdait dans les feuilles du petit bois, faisant danser les lumières dans l'obscurité au moindre coup de vent. Quel spectacle que c'était ! Nous avions d'ailleurs décidé de nous y cacher toutes les deux avant que Pierre et Thomas ne partent à notre recherche. Ils devaient compter jusqu'à cent, il fallait se dépêcher pour trouver une bonne cachette. Alors qu'ils fermaient les yeux, Alice et moi entamions notre course vers le petit bois. Arrivées à la lisière, je me rappelle clairement la vue de ces grands arbres sombres dont le feuillage nous cachait des rayons du soleil. Leurs longues branches nous paraissaient souvent inquiétantes : on aurait dit des monstres aux milliers de bras, qui parfois nous fixaient des yeux. Ils me glaçaient le sang. Quoiqu'il en soit, c'était le meilleur endroit pour trouver une cachette, alors nous nous enfoncions plus profondément au milieux de toutes ces formes obscures, entourées du cris des chouettes qui se nichaient au creux des arbres.

Soudain je sentis Alice me prendre la main et elle me montra du doigt une curieuse petite lumière blanche qui se baladait dans l'obscurité. Qu'est ce que c'était ? Un tour de magie? Une luciole ? Me tirant par le bras, Alice se mit à courir vers l'étrange phénomène. La petite boule de lumière sembla se rendre compte de notre présence et commença à s'échapper, alors nous nous mîmes à courir de plus en plus vite, Alice devant moi, la main pressant mon bras avec force, presque à m'en faire mal. Au bout de notre course la petite boule lumineuse s'arrêta dans une curieuse clairière.

Malgré nos nombreuses expéditions dans le petit bois, je n'ai aucun souvenir d'avoir jamais trouvé cette endroit auparavant ! Il contrastait largement avec l'obscurité des arbres. Les rayons éclatants du soleil perçaient les quelques feuilles qui surplombaient la petite clairière et effectuaient un somptueux balais au rythme du souffle du vent. Il y avait un tronc d'arbre couché qui aurait pu de toute évidence nous servir de banc. L'herbe y était encore plus verte que dans le jardin de grand mère, le ciel encore plus bleu. Jamais je ne vis pareilles couleurs, c'était un spectacle merveilleux. L'éclatante beauté des fleurs multicolores m'émerveillait. Bleues, rouges, jaunes, violettes, et autres couleurs indescriptibles. Alice s'avança et s'allongea dans l'herbe. D'un signe de la main elle me demanda de venir à ses côtés. L'herbe était douce et moelleuse, bien plus douce que n'importe quel lit, et même plus confortable que l'oreiller de la chambre de maman, c'est dire ! J'inspirai et senti un léger parfum de miel. Je fermai les yeux et nous nous donnâmes la main ; alors la petite lumière blanche reparût ! Elle dansait au dessus de nos têtes avec de vifs mouvements, elle tournoyait avec légèreté, comme une plume. En apparût une autre, rose celle-ci, puis une bleue, puis une autre blanche, une jaune, encore une bleue ! Oh mais que pouvaient bien être ces petites boules de lumière ? Alice me glissa à l'oreille : « regarde Élise, ce sont des fées ». C'était évident ! Comment avais-je pu ne pas m'en rendre compte plus tôt ? Les fées dansaient tout autours de nous, tournoyaient, virevoltaient, s'embrassaient.

Nous étions toujours allongées et nous ne dîmes mot, fascinées par ce merveilleux spectacle qui mêlait toutes les plus belles couleurs de ce monde. Oh quel souvenir... Nous avions lu beaucoup de choses sur les fées déjà à l'époque, maman nous avait offert un livre imagé qui expliquait tout sur les fées. Je savais donc qu'elles ne parlaient pas et qu'elle n'apparaissaient que très rarement. Nous assistions à un spectacle unique, alors, la tête reposée sur l'herbe douce et moelleuse, nous restâmes là. Combien de temps ? Je crois bien que le temps s'était arrêté. Une dizaine de minutes ? Une heure ? Deux ? Trois ? Plus ? J'ouvrai les yeux et constatai que le soleil n'apparaissait plus au dessus de nos tête, de toute évidence il s'était écoulé un bon moment.

« Élise ! » C'était grand mère, la pauvre, elle devait se faire un sang d'encre ! Sous l'impact de la surprise, Alice me lâcha la main. Les fées ne se montrent jamais aux yeux des adultes, elles disparurent en un clin d'œil. Je me précipitai hors de la petite clairière précédée par Alice, peut être grand mère ne l'avait jamais trouvé non plus. Je voulais que cela reste un secret que nous partagions que ma sœur et moi. « Élise, cela fait des heures qu'on vous cherche ! Vous n'imaginez pas comme tout le monde s'inquiétait. Allez rentrons à la maison, vous êtes couvertes d'herbes et de terre. Vos belles robes sont toutes tâchées ! ». C'était bien vrai, le bleu clair de nos robes avait perdu de son éclat en un après midi. Il faisait maintenant presque nuit, c'était bientôt l'heure de dîner et il fallait se changer avant. Nous prîmes notre bain, nous rhabillâmes de nos robes blanches crèmes aux fines dentelles et allâmes dîner avec les grands parents et les cousins dans la sinistre salle à manger. Je n'aimais pas beaucoup la maison de grand mère, elle était sombre et remplie de vieilleries. Pas un seul livre à propos des fées ! Les grands parents avaient beaucoup de livres mais aucun avec des images. Jamais nous ne parlâmes de la clairière et des fées à quiconque, c'était notre secret, à Alice et moi. Nous en discutions de temps à autres la nuit tombée chuchotant dans notre lit commun à la faible lueur d'une bougie. Nous nous étions promises de retourner un jour dans la petite clairière pour revoir les fées. J'aurais tant aimé retrouver cet endroit merveilleux et féerique une dernière fois avec ma tendre sœur, ma douce jumelle...

Le Bosquet aux FéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant