- Par ici Monsieur.
Lorsque Guy Duval avait toqué à la porte du restaurant, il n'était pas sûr que ce fut pour passer un bon moment. Il faut dire que son métier le poussait à aller là où l'on avait besoin de lui pour un avis culinaire. Critique gastronomique aurait pu être à bien des égards un métier salivant face à d'autres mais il n'en était rien. Le plus souvent, on lui donnait à aller dans des gargotes infâmes et l'on devait se forcer à manger devant l'horreur de la chose. Parfois, le sort voulu qu'il aille dans des endroits réputés mais l'instant était si rare qu'il fallait en déguster chaque seconde.
Or donc, le matin même, Monsieur Lupin, un homme respectable mais fort sévère, responsable en chef des chroniques culinaires, lui ordonna de se rendre rue Blanche au restaurant La Fumée.
L'établissement avait une façade tout de plus banale, un blanc écru que le temps avait fini de faire passer la couleur à quelque chose de plus jaunâtre. On pouvait lire en grandes lettres capitales le nom du restaurant.
Après avoir toqué à la porte en bois massif, on avait introduit Duval dans la salle en étant tout d'abord passé par une réception des plus modestes. On comptait une douzaine de tables, toutes recouvertes de nappes qui eurent vécu semble-t-il bien des services. Le sol quant à lui était recouvert d'une moquette verte.
On avait dévêtu le critique de son chapeau et de son manteau pour l'installer à une table, près d'une fenêtre. Il pleuvait dehors
- Voici Monsieur.
Un homme long et fin, dont le crâne fort dégarni lui donnait un air singulier, tendit une carte où l'on pouvait lire sur un feuillet :"Le chef des cuisines a l'honneur de vous présenter les plats de son restaurant et vous prie de croire en sa dévotion particulière pour vous servir."
La tranche du folio qui tenait les deux feuilles constituant la carte était abîmée.
"Cette carte est à la hauteur du restaurant, trop modeste, pensa Duval. Cristi ! Que diable ces corvées !"Il s'était enfoncé dans son siège et il cru qu'on lui brisât le dos. Une forte odeur de tabac lui emplit les narines d'un coup ce qui l'assomma un instant.
Tout dans ce lieu commençait à l'exaspérer tant la moindre chose qu'il avait vu depuis son arrivée lui paraissait minable.
Sans même prendre le temps de survoler même le menu, il dit à l'homme qui revenait le voir :
- Que le chef fasse à sa convenance.
Ce dernier fut étonné mais fit volte-face en direction des cuisines.
Il attendit un long moment, passant de ça et là sa main dans sa tignasse brune ou en caressant sa barbe.
Puis l'entrée arriva : des gésiers en salade accompagnés de tomates.
Lorsqu'il entendit cela de la bouche de son serveur, Duval chercha les tomates du regard. Il n'y en avait que des tranches, trois tout au plus.
"Rien de bien consistant !" bougonna le critique en lui-même.
On avait disposé sur la table en même temps que l'entrée, un quart de bouteille de vin rouge et du pain blanc dans une petite corbeille en osier.
S'étant servi un verre, Duval l'approcha de ses lèvres. Un goût âpre et fort déconvenue lui prit le palet.
- Bon dieu, quelle piquette ! s'emporta -t- il à voix haute sans s'en rendre compte.
Soudain, il y eut un mouvement dans le fond de la pièce. Une silhouette mince et élancée parut.
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L'Osmose
Historical FictionPéripéties de Guy Duval, critique gastronomique dans le Paris du XXème siècle.