Soleil levant

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Dernièrement, tout avançait paisiblement dans ma simple et limpide vie. Je me laissais porter par le vent, les pieds dans le vide, mes mèches brunes soulevées presque violemment par une brise froide et tentaculaire qui me transperçait de part en part. Je laissais mes yeux brûler devant un énième magnifique coucher de soleil, saisissant un instant devenant, avec le temps, presque banal. C'est plutôt triste de se rendre compte, au sommet de la béatitude, que ce qu'on regarde, on l'a déjà vu mille fois. Que cette beauté exquise ne nous émeut pas ou plus. Mais je n'en étais pas encore à ce stade, je ressentais encore quelques sursauts d'admiration me soulever avec douceur mon bien lourd et bien venteux petit cœur. Sans vouloir paraître à plaindre ni en proie à des bourrasques de spleen, me remémorer ces instants où les émotions gardaient une place privilégiée dans mes longues journées me donne l'impression d'être catapulté dans un futur où les flammes dévorent le monde, une sensation de déjà-vu cauchemardesque. Quand j'avais encore le pouvoir d'écarquiller mes yeux à la moindre averse cotonneuse de flocons, j'aimais brûler mes lèvres avec une boisson beaucoup trop chaude pour mes matins encore ivres et ne tenant pas sur leurs pattes. Comme des biches à peine nées. Mes matins, finalement, étaient plutôt soyeux et innocents.

Ils n'en donnaient pas vraiment l'impression pourtant. Quelques heures après que le soleil se soit épris du jour et l'ait embrassé tendrement, mes paupières à peines remises de la nuit qui venait de se passer devaient retourner au front. Elles devaient de nouveau affronter la grise mine d'une ville endormie et les traits enchanteurs, dont mes iris tombent si facilement amoureux, des bâtiments et des toits qui respirent. Qui soupirent de bonheur devant cet hiver si attentionné et soigneux, ni trop dur pour les recouvrir de brouillard, ni trop attaché pour les laisser se dévoiler complètement. Il laissait ça aux dernières heures du jour, aux charmes des crépuscules. Tout ça ressemblait à un film muet, les bruits des pots d'échappement en plus. Un charme que j'aimais particulièrement. Ainsi que les courbes d'un hurlement de métro et les yeux de panthère d'un train arrivant à la gare. Tout ça me séduisait infiniment. Bien plus que les complaintes de mes voisins trop pressés pour remarquer que leurs âmes s'accrochent désespérément à leurs valises déchirées pour rester à bord. Quand j'avais émergé de mon expérience de mort imminente (même ça devient banal avec le temps, subir cela tout les jours ça forge une certaine habitude.), je m'installais sur une chaise surélevée se trouvant dans la même pièce que mes toiles et mes chevalets. La cuisine aussi s'y trouvait, mon tourne-disques et mon sofa. Tout, en réalité. Cette pièce c'était mon atelier en quelque sortes. Un atelier de feignant. J'avais en face de mes yeux soupirants un frigo gris et quelques assiettes attendant patiemment le grand saut. Pas pour tout de suite. Je devais d'abord m'infliger mon incendie à moi. Celui qui brûles mes lèvres et réchauffe mon âme. Une âme qui, par son apparence, semblait avoir passé sa nuit dehors.

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