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Je marche pieds nus au bord du suicide et tu sais ce que j'en pense? Je pense que je m'apprête à faire grâce à l'humanité en rendant à la vie l'œuvre médiocre et ratée à laquel elle a donné l'insignifiante existence par erreur. Je me rends à la vie. Pas de point de retour, ni de marche arrière. Je me livre corps et âme à cette obsession suicidaire qui me ronge de jour en jour et qui a réussit à éteindre la dernière lueur d'espoir qui sommeillait dans mon esprit exténué. Le suicide, est-il vraiment un appel au secours? Si oui, qui va l'entendre? Sûrement pas ces gens à qui la vie sourit, ces gens qui pensent que les êtres désespérés ont besoin de psychothérapie pour mettre un terme à leurs idées noires, associées à l'amertume profonde qui assombrit leur état. Et si, au lieu d'en finir avec ces dernières, ils préfèrent plutôt arrêter le processus misérable de leur existence? N'est ce pas plus facile?

Malgré la mélancolie amère qui me hante, j'aime penser que pendant un moment, j'aimais la vie et ce qu'elle m'apportait au quotidien. J'aimais l'air frais qui emplissait mes organes respiratoires et me procurait une quiétude incomparable. J'aimais les premiers rayons du soleil qui me détachaient docilement des bras de Morphée. J'aimais mon reflet dans le miroir et les ondes positives qui émanaient de mon sourire large et franc. J'aimais croire que derrière ce regard perdu, ces cernes dû à la fatigue et aux nuits blanches bercées par les plus beaux vers de poésie et les plus beaux passages littéraires, il y'avait quelque chose de beau. Ainsi, pendant un moment, j'avais goûté au bonheur éphémère qui s'offrait à moi. Une vaine illusion correspondant parfaitement aux envies de mon âme pure et naïve.

Comment une fille si heureuse a pu être terrassée par sa dépression au point de passer à l'acte? Un acte de désespoir, d'abandon pour quelques-uns, une lâcheté pour d'autres. La réponse est facile mais douloureuse. Comment expliquer à tous ces gens là ce sentiment effroyable quand les larmes vous prennent devant les joies des autres lorsque vous savez que vous ne vivrez jamais la même chose? Comment décrire ce trou sombre aux parois lisses sans issus dans lequel vous vous êtres secrètement engouffrés sans aucun bruit et sans aucun signe témoignant une probable souffrance destructive? Et puis? On finit par se noyer dans un océan de solitude au fin fond des ténèbres.

    C'est drôle, n'est ce pas? La fille qui vivait au dépend de la lumière du jour, de l'art et de la poésie s'était lancée dans un combat perdu d'avance avec ses propres démons dans un labyrinthe sombre où seul le son poignant de ses sanglots étouffés résonne. Des sanglots qu'elle avait honte de lâcher pendant ces nuits blanches où les pensées toxiques et nuisibles empoisonnaient sa conscience. Et instinctivement, le manque a remplacé l'inspiration, et le goût salé des larmes a remplacé celui de la liberté. Une liberté que je compte retrouver en passant à l'acte.

    Et tel un marin qui ne retrouve plus sa boussole, un poète qui a égaré sa plume, j'ai moi-même perdu le contrôle de toute une vie. Je suis devenue la nuit noire privée de sa lune et la mer démontée par ses vagues. Mon corps avait perdu toute connivence avec mon esprit, et les mélodies que j'avais pris du temps à mémoriser s'étaient volatilisées, laissant quelques bribes dépourvues de rythme et de douceur.

Est-ce le début de la mort ou la fin de la vie? Peu importe. Étrangement, je ne ressens plus rien comme si mon âme avait déjà quitté mon corps. L'idée de ne plus être là est si belle et si réconfortante que ma présence en ce moment même dans cette chambre qui a longtemps été ma bulle d'isolement, mon cercle vicieux, est presque irréelle.

Je m'allonge sur mon lit après m'être assurée que mon alarme est bien réglée. Il était onze heure et vingt minutes. Plus qu'une dizaine de minutes et mon âme se détachera définitivement de mon anatomie. Plus que six-cent secondes pour vivre. Qu'aurait pensé mon professeur d'art dramatique? Elle, qui m'exprimait toujours son immense fierté de m'avoir dans sa classe et qui admirait avant tout l'énergie que je déployais une fois sur scène. Qu'aurait pensé mon grand frère à l'autre bout du monde? Lui, qui une fois m'a confié qu'il adorait mon regard pétillant et les étincelles qui scintillaient dans mes prunelles. Je me lève difficilement et me place devant un grand miroir. La glace renvoyait l'image d'une fille brisée, au yeux translucides et aux cernes noires, rien d'autre qu'un visage inexpressif dont la propriétaire était condamnée à passer le restant de sa vie dans les ténèbres. Une larme solitaire coule le long de ma joue, une dernière larme qui annonce la fin d'un profond chagrin. L'énergie qui avait émerveillée mon enseignante et les étincelles qui avait attirées l'attention de mon frère n'ont plus leurs places dans l'esprit chamboulé d'un futur cadavre, et j'en suis désormais consciente.

Lentement, je reprends ma position initiale, allongée sur mes draps. Plus que cinq minutes. Je ne serais plus prisonnière des fils embrouillés dans lesquels je me suis moi-même ligotée. Je ne serais plus ce puits sans fond, vide qui trouve refuge dans ses idées auto-destructives. Je désactiverais cette part sombre qui s'alimente de mes espérances et mes rêves une bonne fois pour toute afin de partir et ne plus jamais revenir. Parce qu'une fois l'acte réussi, on ne peut plus changer d'avis. Aujourd'hui, je brise cette malédiction qui a envenimé le peu d'espoir que j'avais.

    Je repense à ma dernière lecture littéraire qui remonte à des mois, un livre de Jean Cocteau nommé Secrets de Beauté. Je repense à cette jeune fille de mon club de théâtre qui souhaitait avoir mon autographe. Je me souviens avoir souri d'étonnement et signer son joli carnet. Je repense à la pause déjeuner qui était mon moment préféré de la journée, c'était à cette heure-ci que je rencontrais un guitariste britannique et que nous échangions nos compositions. Je repense aussi au dernier concert auquel j'ai assisté à l'occasion de mon anniversaire, celui de Lara Fabian. Je repense à mon dernier voyage en Australie pour rendre visite à mon frère et pendant une fraction de seconde, je me sens mal de le quitter de cette façon. Cette pensée se dissipe aussitôt lorsque je me rappelle notre dernier appel au téléphone.

Je vérifie mon cellulaire, plus que trois minute. Je ferme mes yeux et profite des dernières secondes de mon existence en fredonnant des paroles d'une chanson que j'aimais tant mais dont le titre s'était effacé de ma mémoire.

Appel au secoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant