Le Lys

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La journée est agréable.

Une timide lumière me caresse sous le couvert des arbres. Le chatoiement du soleil filtre à travers leur feuillage pour parsemer çà et là des taches dansantes. Un rayon est tombé là où je me tiens, me remplissant d'une douce chaleur. Je me sens bien. Rassurée. Apaisée. Un sourire de bien-être naît sur mes lèvres. Cela fait bien trop longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi tranquille. Je ferme les yeux pour mieux profiter du moment et je pousse un léger soupir,heureuse, profitant de la sérénité qui m'envahit. J'oublie.

Après quelques temps à rester ainsi allongée, je penche la tête sur le côté pour observer les environs. Le Marais Sombre est bien calme aujourd'hui.J'écoute. Les frondaisons font bruire leurs feuilles quand un souffle de vent les agite. Les légères bulles que forment les Naïades éclatent et libèrent chacune une légère note à peine perceptible. Quand on sait où diriger l'oreille, on s'aperçoit que la nature nous offre continuellement une délicate mélodie. Encore faut-il vouloir l'entendre. J'en profite, une douce brise venant faire chanter les brins d'herbe qui m'entourent. Rien ne vient briser le rythme de cette musique, pas une parole, pas un bruit de pas. Une vague de nostalgie m'emplit des pieds à la tête, un frisson de froid me saisit malgré la tiédeur de l'air. Cela fait des années que je suis coincée là, sur cet amoncellement de terre et de pierres, sur ma petite île naufragée au milieu de l'eau trouble du marais. J'y suis plantée depuis tout ce temps. Et le serait probablement jusqu'à ma mort. Alors que mon sourire s'efface, que je sens ma gorge se nouer et mon nez me picoter, je bascule sur le ventre, le menton posé entre mes mains pour regarder la fleur qui se dresse devant moi. Ses délicats pétales blancs et ses feuilles d'un vert tendre se tendent vers les rayons de soleil qui la nourrissent.Qui me nourrissent. Elle fait partie de moi. Je tends la main vers un pétale satiné et le caresse doucement. Malgré ma mélancolie, cet acte m'arrache un sourire.

En tant qu'hamadryade,je ne peux pas m'éloigner de trop de ce lys d'un blanc plus pur que les plumes d'une colombe.

On m'a plantée là autrefois pour protéger cette colline, qui était entourée d'immenses prairies emplies de fleurs. Aujourd'hui, je ne suis plus d'aucune utilité. Ce sur quoi je devais veiller se dresse toujours au sommet de cette petite colline maintenant isolée. Je tourne la tête en sa direction. Et encore une fois, je vois ces ruines, les murs d'une grande bâtisse qui malgré les siècles passés restent debout, défiant le temps. J'ai fait en sorte que notre sanctuaire ne tombe pas totalement au sol en faisant monter les plantes, afin qu'elles s'accrochent aux murs, et les retiennent en s'emmêlant les unes aux autres. Et mine de rien, cela a plutôt bien fonctionné :seuls quelques parties du toit ont succombé à la gravité. Une pointe de fierté me réchauffe la poitrine, mais elle est bien vite remplacée par un immense chagrin. Cette colline entourée de fleurs,je l'ai connue bien vivante, avec son bastion qui se dressait avec noblesse à son sommet, et sa rivière qui la ceinturait. Avec aussi toutes ces personnes, tous ces amis qui venaient me voir, qui me parlaient, qui m'aimaient. Les brownies, les naïades, les elfes me tenaient compagnie. J'étais heureuse malgré le temps de guerre.

Mais tout a basculé.Une douleur fugace me transperce. L'amertume. Une grimace de douleur prend place sur mon visage et raye définitivement le bonheur qui me prenait quelques minutes plus tôt. Si ce n'est pas le cas autour de moi, dans mon cœur, le soleil rassurant a abdiqué face à l'ombre de mes souvenirs. Une attaque. Plus massive encore que toutes celles essuyées auparavant. Le sang de nos alliés et de nos ennemis imbibant la prairie. Les pertes avaient été lourdes dans les deux camps. Carnage. Les fleurs piétinées et tachées de sang. Peu ont survécu. J'en faisais partie. A cause du chagrin, certains ont perdu la raison. J'ai vu des guerriers et guerrières faeliens hurler de douleur et devenir fous, j'ai vu des naïades se tuer de chagrin en découvrant leurs amours morts. J'ai vu tant de choses horribles que je ne pourrai jamais tout expliquer. J'ai essayé de protéger le bastion. Ma magie, même appuyée par celles d'autres hamadryades ou mages n'a pas suffi. Ils étaient trop nombreux, trop forts. La barrière s'est brisée, et nous avons été submergés. Les survivants sont devenus fous, ou sont partis. Nous avions gagné la guerre, grâce à l'Oracle qui s'était sacrifiée pour nous sauver,cependant, je ne m'en inquiétait guère. Seuls les pertes subies m'obnubilaient. J'étais trop aveuglée par la tristesse pour tenir compte de quoi que ce soit d'autre. La rivière entourant la collines'est gorgée de rubis liquide, tout comme la prairie. Peu à peu,les Marais Sombres sont apparus. Ses Eaux Mortes sont nés du sang des vivants. Les naïades les hantent depuis. Gare à vous si vous osez toucher l'eau, elles vous attraperont pour vous emmener au fond,pour que vous leur teniez compagnie, que vous remplaciez leurs compagnons perdus. La nuit, elles chantent. Elles chantent leur tristesse. Parfois, je joins mon chant aux leurs. Ils me manquent, à moi aussi.

Le LysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant