La noyade

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Les pupilles étaient étincelantes. Chaque moment de proximité était magnétique. Le simple fait de se retenir provoquait la flamme.

Le dire était tabou.

Quoi de pire que de savoir ce qui est sans pouvoir le dire.
Car l’avenir était incertain. De ce fait, chaque moment passé était telle une longue étreinte, de laquelle on ne peut se défaire.

Le toucher et l’odorat devinrent les sens les plus importants. Les mots les plus forts, ceux enveloppés d’une partie de l’âme, se transmettaient par le toucher ; la reconnaissance et la relaxation spirituelle étaient engendrées par l’odorat. Le temps ne comptait pas, mais pourtant si précieux pour deux de ces pupilles.

Le temps. Maître indéniable de ces pupilles dont les étincelles étaient souvent parsemées de ses grosses gouttes. Son pouvoir était inépuisable, son influence était incontrôlable. Cette notion de temps devint une lame à double tranchant, créant des situations sans issues.

Pourtant, les étincelles renaissaient à chaque instant retrouvé. L’instant. Les instants. Ces instants, durant lesquelles plus rien ne comptait, plus rien n’existait, juste les pupilles, le toucher et l’odorat. Ces instants si brefs, mais si intenses qu’ils provoquaient des flammes immenses teintées de couleurs chaudes, apaisantes, légères… Puis, la couleur du temps s’y imprégnait.

Néanmoins, il y avait quelque chose qui formait un mur de fils fins, tissés, ornés et loin d’être fragile. Même le temps, ne pouvait passer à travers ce mur. La présence des pupilles d’à côté, adossées à ce mur, provoquait une réaction méconnue auparavant, une sensation inconnue auparavant. Rien ne pouvait être contrôlé, rien ne pouvait être retenu, le magnétisme était inévitable, et le temps ne pouvait plus exister.

Tout était léger.

Les lèvres ne pouvaient cesser de former cette forme si universelle qu’est le sourire. Les voix intérieures parlaient d’un ton puissant à travers le toucher. Les conversations ressemblaient à un cocktail de sujets tellement disparates, mais tellement apaisantes à ce moment-là. Et pourtant ce temps était tellement important. Comment aller à l’encontre de son maître ?

Les étincelles traduisaient des sentiments si intenses, trop intenses, incontrôlables. Se brûler ne représentait plus un danger.

Tandis que les pupilles s’engouffraient dans une eau parfumée, les dernières lueurs teintées s’en allait. Le corps sentait l’attraction du fond. Les pupilles toujours ouvertes, voyaient les étincelles se détacher peu à peu. Elles remontaient vers la surface en se vidant de leur luisance. Quelques-unes s’enfonçaient dans le corps avec l’eau parfumée, pour s’accrocher à l’âme.

Tandis que les pupilles, forcées par cette eau si parfumée d’un parfum si familier, se fermaient doucement, une seule pensée traversait l’esprit. Une pensée longtemps refoulée. Le corps atteignait le fond, et l’âme parfumée, porteuse des dernières étincelles, s’introduisait subtilement dans les bulles formées par les lèvres, pour remonter à la surface.

Tous ces moments, et instants repassèrent en un éclair. Ces moments intenses, qui jadis remplirent l’âme de joie, de réconfort, de tristesse, de frustrations, d’insécurité, d’incertitude constante, de plaisir…

Tous ces moments, dans ces petites bulles remontant à la surface, laissant le corps frôler le fond, cherchant les autres pupilles.

Tous ces moments emportés dans une noyade parfumée.

Tous ces moments, et une seule et unique pensée pour accompagner ce dernier souffle.

Elle savait qu’il l’aimait. Il savait qu’il n’était pas fait pour aimer.

Shine Cypress


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