Je sanglote silencieusement en regardant le brasier qui crépite devant moi. Mes yeux se posent sur ce qu'il reste de la cabine de l'hélicoptère, ce n'est plus qu'un amas de décombres. J'observe d'un regard vide les petites flammes s'en échapper, vacillant au gré du vent, prêtes à s'éteindre au moindre souffle. Je les regarde lentement consumer tout notre travail. Une boule d'amertume me monte à la gorge.
Se faire un nom dans le monde du journalisme n'est pas une mince affaire. Matt et moi on en a bavé à la sortie de notre école. On a enchaîné les articles pour des magazines et des journaux miteux, puis notre travail a fini par porter ses fruits et on s'est fait repérer par une petite chaîne de télé spécialisée dans l'info en continu. Ce n'était pas vraiment ce dont on avait rêvé, mais c'était une étape nécessaire pour arriver à nos objectifs, alors on a travaillé dur. On avait trouvé un bon équilibre tous les deux, Matt avec son aisance naturelle devant la caméra et moi derrière à le filmer. Et puis un jour, Matt est arrivé tout sourire, me disant qu'il nous avait dégoté « Le reportage » qui aller nous permettre de faire un pas de plus vers nos rêves. Si j'avais su dans quoi je m'embarquais...
C'est ainsi qu'on s'est retrouvés Matt, moi et mon vertige, dans un hélicoptère à des kilomètres de chez nous, à suivre des secouristes lors d'une de leurs interventions dans un coin perdu en montagne. Plusieurs témoignages de randonneurs avaient rapporté des faits assez étranges, disant avoir aperçu dans les bois des enfants à moitié nus semblables à des bêtes. Je pensais qu'on allait assister à un sauvetage mais j'étais très loin de la réalité...
Les deux hélicos se sont posés dans un coin dégagé et les recherches ont débuté. Ce n'est qu'en début de soirée que les secouristes ont fini par trouver une petite maison délabrée en tôle, cachée dans la forêt. Deux gamines d'une quinzaine d'années, amaigries et sales, jouaient devant. Dès qu'elles nous ont vus, elles sont parties se réfugier dans leur abri. Les secouristes se sont approchés et je les talonnais de près, caméra sur l'épaule. Ils ont ouvert la porte et quelque chose c'est brisé en moi, pour la première fois de ma vie, j'ai vraiment fait face à l'horreur.
Une odeur abominable émanait de l'endroit, un mélange de déjections et de putréfaction. Sur le sol crasseux, se tenait, recroquevillée dans un coin de la petite cabane, une femme à moitié nue, d'une trentaine d'années, au regard terrorisé tel un animal, serrant contre elle des gamines de tous les âges, dans un état lamentable. Leurs membres étaient pour le plupart atrophiés et distordus. Elles soufraient toutes de sévères malformations et de malnutrition.
Les secouristes se sont lentement approchés d'elles et en leur parlant, mais les petites n'avaient pas l'air de comprendre un traître mot. Elles ressemblaient plus à des bêtes sauvages apeurées et prises au piège qu'à des humaines. Alors que les secouristes avaient réussi à les calmer, un coup de feu a retenti à l'extérieur, suivi par des cris de terreur. Nous nous sommes hâtés dehors et j'ai à peine eu le temps d'entrevoir un homme aux cheveux grisonnants, armé d'un fusil, tandis qu'il disparaissait dans les bois à toute allure, laissant derrière lui un des secouristes avec un trou béant dans le crâne. La panique nous a gagné, et une des gamines en a profité pour s'échapper dans la forêt en un éclair. Tout est soudainement devenu flou autour de moi, j'apercevais des formes se mouvoir rapidement du coin de l'œil, mais je restais planté sur place, paralysé, à filmer le cadavre.
Les secouristes ont appelé des renforts et on nous a demandé de partir car la situation était devenue trop dangereuse. On a regagné l'hélico à la nuit tombée. Un silence pesant régnait dans la cabine. Les images des derniers événements me revenaient sans cesse en tête. Puis il y a eu cet affreux bruit, suivi des cris du pilote et des mouvements brusques de l'hélicoptère. Et sans que je n'aie rien eu le temps de comprendre, j'étais projeté hors de l'appareil. Je me souviens de la douleur qui m'a envahi quand mon dos a heurté les premières branches.
Je prends de grande inspiration pour me calmer et me relève difficilement en essuyant les larmes qui me voilent la vue. Il y a encore un espoir. Je doute que la caméra ait survécu au choc, mais si j'arrive à récupérer la carte SD à l'intérieur, tout ne sera pas perdu.
De Ed' : Je vais essayer de voir si je peux sauver le matos.
De Matt : Va pas te mettre en danger pour ça.
De Matt : C'est pas important. On en rachètera.
De Matt : J'arrive
Je reste un instant perplexe devant ces derniers messages. Je ne m'attendais pas vraiment à cette réaction de sa part. Je sais que s'il avait été à ma place, il aurait été le premier à tenter de sauver notre travail et ça aurait été moi qui aurait tenter de le raisonner sans succès.
J'enfonce mon téléphone dans ma poche et m'avance lentement vers les restes de la cabine. J'enlève ma veste et l'enroule autour de ma main pour pouvoir toucher le métal brûlant, chauffé par les flammes. Je déplace difficilement les gros bouts de fer et cherche du regard ma caméra. Tout est très sombre et je n'aperçois que des masses obscures. Alors que je soulève une nouvelle pièce de métal, une forme attire mon attention. Je m'habitue lentement au manque de lumière et je me tétanise. Qu'est-ce que ça veut dire ? Mes pensées s'entrechoquent dans ma tête et je suis incapable de réfléchir correctement.
Je continue de fixer le sol, refusant de croire ce que mes yeux me montrent. Les feuilles mortes à mes pieds et le bout de métal entre mes mains sont couverts de sang. Son corps se tient là, à moitié écrasé sous les décombres. Il a un trou béant en plein milieu du front. Pourtant malgré son état, je reconnais cette silhouette, je reconnais ce visage... Je reconnais le cadavre de mon ami...
De violents tremblements se mettent à parcourir mes membres. J'ouvre ma bouche pour hurler mais aucun son n'est capable d'en sortir. Mes dernières forces m'abandonnent et je me laisse tomber à genoux sur le sol.
Je sens une vibration dans ma poche et, d'une main tremblante, je sors mon téléphone.
Matt : Ed' ?
De Ed' : Les secours arrivent quand ?
De Matt : Bientôt
De Ed' : Dans combien de temps ?
De Matt : Bientôt
Bientôt...bientôt...bientôt...Toujours la même réponse... Une boule se forme dans ma gorge. Je me sens complètement vide, incapable de faire le moindre geste.
De Matt : Sois encore un peu patient.
De Matt : J'arrive
De Ed' : Ne vous approchez pas
De Matt : Ca va aller Ed'
Des larmes viennent finir leurs courses sur l'écran de mon portable. Je porte lentement les mains à mon visage et me recroqueville sur moi-même. J'entends soudain un son lointain se rapprochant lentement. Ce sont des pas. Il est arrivé. Les bruit cessent soudainement derrière moi, laissant place à un affreux silence, uniquement rompu par le crépitement des flammes.
Une nouvelle vibration se fait alors sentir. Je regarde lentement mon téléphone et au moment même où je lis ce dernier message, la voix grave et rauque de l'homme dans mon dos emplit l'espace, prononçant ces mêmes mots.
De Matt : Je suis là Ed'
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Hey ! Voilà donc la fin de cette petite nouvelle ^^ J'espère qu'elle vous aura plu, n'hésitez pas à me donner vos avis en commentaire :p
Sur ce, on se retrouve très prochainement pour la suite de Never Alone :p Ciaossus !
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After the Fall
HorrorJe continue de fixer l'écran fissuré de mon portable, les mains tremblantes, attendant un signe de sa part. Mais rien, pas le moindre son, pas la moindre vibration ne se fait entendre. Mes yeux deviennent peu à peu humides, mais je lutte pour conten...