Grisaille

398 90 31
                                    



Le gris a tout dévoré.

Les bâtiments. Les rues. Les arbres. Les habits. Les visages. Les yeux. Les voix. Les sentiments. Les idées. Les rêves.

Le monde.

Un gris sale, un gris terne, un gris indécis qui a tout corrompu, tout grignoté, tout doucement.

Du noir, au moins, ça aurait été beau. Profond, mystérieux, tragique, grandiose.

Le gris, c'est rien. Un entre-deux dégueulasse. Une voix sans issue.

J'arpente les rues de la ville, slalomant entre les gosses tirés par leurs mères, qui ont pratiquement toutes succombées au confort de la laisse implantée. Je me souviens comme certain avaient gueulés, au début. « Laissez-les libres ! ». Ils m'avaient fait rire. Libre ? De faire quoi ? D'aller où ?

Les écrans, un peu partout, vomissent leurs habituels flots de publicités. Ça ne sert plus à rien, maintenant. Il y en a trop. Plus personne n'écoute. Mais les habitudes ont la vie dure. Aucun commercial n'avait pu se résoudre à arrêter la publicité.

Je rentre violemment dans un passant, m'écorchant au passage la peau sur les piques qui déforment ses épaules. Encore un punk.

Mais qu'est-ce qu'il fait, celui-là ? Il ne peut pas bouger, au lieu de rester planté là, au beau milieu de la place, le nez en l'air ?

Je m'aperçois, avec un train de retard, qu'il n'est pas seul. Tous autour de moi adoptent la même position, indifférent au monde, le visage vaguement éclairé par la lumière bleue d'un écran géant.

Pris d'un irrésistible élan de curiosité, je les imite. Mon regard plonge dans l'écran gigantesque qui recouvre l'immeuble, à quelques pas de moi.

Dessus dansent quelques nuages, égarés dans un bleu ciel depuis longtemps introuvable sur Terre. Un homme apparaît soudain. Immense. Un géant debout devant un peuple de fourmis.

Je tapote ma tempe, pour activer la micro-puce qui y est implantée. La voix de l'homme en bleu résonne dans ma tête. Douce. Bienveillante.

Au début, le blabla habituel, et vas-y que je me présente, et ma firme, et mes bonnes intentions...

Et puis, l'information.

Ils ont trouvé.

Un remède. Un médicament. Une cure. Un traitement qui guérirait la maladie le plus répandu de ce XXXIeme siècle.

Le mal de vivre.

Un rire sort de ma gorge. Un rire malade, grinçant, qui attire sur moi quelques regards stupéfaits. Quelle connerie. C'est impossible. Tout simplement infaisable. Et combien le vendaient-ils, leur machin miraculeux ?

Tiens, ça aurait pu être plus cher, en fait. C'était même carrément accessible.

L'idée enfle doucement dans mon esprit, jusqu'à s'imposer d'elle-même.

Pourquoi pas ? Je n'ait pas grand-chose à perdre...

*

Ils avaient voulu peindre le bâtiment en bleu. Mais le gris, qui n'avait pas donné son accord, s'était vengé en s'infiltrant tranquillement sur la façade, sous formes de longues fissures torturées.

Un chiffre est peint à la vas-vite au-dessus de la porte. Six-cent soixante-six. Étais-ce le six-cent soixante-sixième bâtiment ? Il doit y en avoir dans d'autre pays, alors. Peut-être dans toutes les villes ? Qu'importe.

Grisaille (Challenge rêve d'androïdes)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant