Chapitre I : Joha

13 1 2
                                    

    -"Joha, sort d'ici vite ! L'Assemblée va commencer, il ne faut pas être en retard !"

Je sors la tête de mon établi en grommelant. Pas véritablement envie d'y aller, à cette Assemblée.

-"Mais enfin qu'est ce que tu fais Joha ? Tu les continueras après tes bricolages ! Sors ou nous allons avoir une sanction."

Je pousse un dernier soupir et me décide à sortir pour rejoindre mon amie qui s'égosille depuis tout à l'heure.
Je sais qu'elle a raison. Que l'Assemblée ayant lieu une fois par mois est obligatoire et l'absentéisme puni. Il n'empêche, j'aurais préféré rester chez moi.

Hallie est ma seule véritable amie. Ici, en tant qu'orpheline, je suis considérée comme une paria. L'Acropole ne nous prend pas en charge et nous considère comme de petits parasites. En clair, le gouvernement nous laisse mourir dans les rues. Avec Hallie nous avons eu beaucoup de chance car nous n'étions encore que des bébés lorsque nos mères nous ont abandonné. C'est uniquement grâce à l'aide de Bianca, une vieille dame nous ayant recueilli, que nous avons pu survivre. Elle est morte il y a cinq ans, alors que nous étions âgées d'à peine dix ans. Sa mort me brûle encore, elle était comme une mère pour moi. Elle nous a tout appris : à cuisiner, à travailler, à lire et à écrire, à nous battre. Ses yeux lançaient des éclairs et ses punitions étaient dures, mais je pense qu'elle se doutait que le temps passait et qu'en s'affaiblissant, la nécessité de nous laisser suffisamment fortes pour nous en sortir par nous mêmes se faisait de plus en plus pressante.
Oui, Bianca nous a transmis la hargne et la détermination. Elle défendait toujours avec ferveur les opprimés. Elle nous a glissé les mots "justice" et "liberté" à l'oreille, des mots qui se cachent trop souvent par ici.

Depuis j'ai déménagé avec Hallie, dans un endroit plus simple et plus petit faute d'argent. Nous continuons à vivre ensemble. Elle a quinze ans, comme moi, et c'est à la fois ma meilleure amie, ma colocataire, ma confidente et ma sœur de cœur. C'est une personne au caractère de feu et beaucoup de ses discours lui vaudraient des problèmes. Heureusement elle ne les dit qu'à moi, nous n'avons confiance que l'une dans l'autre, c'est tout.
Hallie travaille dans un Écritoire, l'un des bureaux du journal de l'Acropole. L'écriture est sa passion mais je sens bien qu'elle bouillonne de ne pouvoir écrire ce qu'il lui plait.
Quand à moi je suis apprenti dans un établi. Ça a été compliqué d'être engagée puis acceptée, à la base le maître ouvrier voulait un garçon. Je me suis déguisée, j'ai passé la période d'essai et au moment où il a enfin prononcé "c'est du bon boulot petit. Je t'engage.", je lui ai avoué que j'étais une fille. Plus moyen de faire demi tour pour lui. Son prénom est Bastian. Ça va bientôt faire cinq an que je travaille pour lui, et c'est le meilleur ouvrier de la ville, je n'ai de cesse de progresser. Parfois j'ai l'impression qu'il m'aime bien, voir qu'il se prend presque pour mon père. Cette idée me fait sourire. J'ai toujours aimé le bricolage et Bianca m'a toujours poussé dans cette voie, malgré mon sexe. Sculpter, forger, créer, graver, peindre surtout... c'est à la fois reposant, captivant et inspirant. Un jour, j'aurais mon propre établi.
En attendant mon salaire additionné à celui d'Hallie nous permet de survivre. Et c'est tout ce qui importe. Tout ce que Bianca aurait voulu. Et je suis certaine qu'elle aurait été fière de nous et se serait dit qu'elle a fait du bon boulot.

  -"Tu es bien silencieuse aujourd'hui. À quoi tu penses Joha ?"

      La voix d'Hallie me tire hors de mes pensées. Un sourire malicieux étire son visage. Je ne peux m'empêcher de lui sourire à mon tour.

       -"Je me disais que sans ces Assemblées barbantes, j'aurais eu le temps de finir le brouillon de ma prochaine sculpture au fusain."

         -"Oui c'est idiot d'obliger une population à assister à de la propagande pendant deux heures. Surtout que sur moi elle n'a pas d'effet !"

   Sa voix et son rire résonnent un peu trop fort à mon goût. Hallie a toujours eu des idées un peu révolutionnaires. Son amour pour l'Acropole n'est pas... énorme disons. Je crois qu'elle lui en veux, à propos des orphelins et des pauvres abandonnés. Ou alors elle n'est tout simplement pas d'accord avec les valeurs de la société, mais ça, il faut qu'elle le garde pour elle.

    -"Pas trop fort ! On pourrait t'entendre ! Rappelle toi, à la dernière Assemblée, ils ont fouetté trois hommes ayant fait des tracts contre le rétablissement de la peine de mort."

     -"Oui merci, je m'en rappelle." persifle t'elle.

   Son agacement est peint sur sa tête. En plus nous passons devant cinq enfants, vêtus de guenilles. Leurs yeux gris nous fixent et ils vacillent sur leurs jambes trop maigres. Quel âge a le plus grand ? Neuf ans ?
Je ne peux pas m'empêcher d'avoir de la pitié et de me dire que j'aurais très bien pu être à leur place.

    Au fur et à mesure que nous avançons, la population autour de nous se fait plus dense. Toutes les castes sociales se retrouvent au même endroit, au même moment, une fois par mois. Mais bien sûr elles ne s'assoient pas aux mêmes places.

    Avec Hallie nous nous dirigeons vers le programme. Des murmures inhabituels se font entendre. Une sorte de rumeur. Nous jouons des coudes et arrivons enfin devant la fiche. Ce qu'il y a d'écrit dessus me laisse bouche bée.

Hybride Où les histoires vivent. Découvrez maintenant