Massacre Et Propagande #1

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(Histoire tirée d'un rêve)

Il faisait beau ce soir-là.

Les rayons rasants du crépuscule venaient teinter les visages d'une agréable couleur pourpre et l'alcool, qui coulait à flots, ne faisait que renforcer cet effet.

Des oiseaux voletaient aux alentours d'un immense chêne, dehors, truffé de guirlandes lumineuses comme un vulgaire sapin de Noël et un petit air country-chic semblait s'échapper des murs de la pièce, tandis que les invités se pressaient au bar pour gouter au « fameux bourbon que Madame Mairaugh avait ramené de Cardiff ».

C'était donc ici que je me trouvais... Après des années de lutte contre les inégalités, des sacrifices immenses pour détruire les privilèges accordés aux plus riches, j'étais assis, pitoyable, dans le salon d'une villa rutilante, entouré d'êtres tout autant détestables.

Pendant ma jeunesse, j'avais été élevé dans les faubourgs de Brissac, petite ville d'Auvergne, par mon père, seul boucher du village. Mon quotidien était donc majoritairement constitué de jeux dans la boue, de blagues graveleuses sur mes camarades, de mythes, d'espoirs et de chipolatas. Pas une seule trace de quelque luxe que ce soit. J'en venais donc à être dégouté par les manières des convives, par leur langage, leur apparence... Tout d'eux me répugnait.

Mais pour la bien de ma famille, j'étais obligé de venir.

En effet, c'était cette fameuse Madame Mairaugh qui payait le traitement de mon père, trois bons milliers d'euros par mois. Quelques temps plus tôt il avait contracté une étrange maladie, et bégayait sans cesse des syllabes quasi inaudibles : « Hu... Hète...Hu...Hète », en fixant le sol de ses yeux rougis.

Mme Mairaugh était une amie de la famille, du moins de la génération du mon père, et était donc presque capable de tout pour le sauver.

Ainsi, j'étais assis ici, sur un sofa en cuir de gnou, les yeux braqués sur la baie vitrée qui me séparait de la terrasse et du chêne. Le sol blanc réfléchissait si bien la lumière que toute la pièce se parait des couleurs scintillantes provenant de l'arbre.

Rouge, Vert, Bleu, Rose, Jaune.

Le brouhaha assourdissant, la chaleur, les clignotements et l'odeur des mets luxueux me rendaient vaseux.

Bleu, Rouge, Bleu, Rouge.

Il fallait que je pense à autre chose, que je m'éloigne de ces créatures dégoutantes, de cette odeur nauséabonde, de ces lumières stroboscopiques.

Jaune, Vert, Jaune, Vert.

Je bondis sur mes pieds, et me précipitait vers l'aile du salon éclairée convenablement, et assez loin du buffet, devenu le point de repli d'hommes bouffis, rougis, et de femmes épaisses, grasses et croulantes de bijoux étincelants.

Ici tout était plus calme. L'endroit était baigné d'une lumière orangée, qui se reflétait mollement sur la substance grisâtre contenue dans un énorme jacuzzi. Des hommes au torse blanchi, paradaient dans leur bain d'argile pour trouver une belle et se jaugeaient du regard. Ils se gardaient cependant de toucher le liquide avec le haut de leur corps, pour ne pas salir leur réputation. Une odeur délicate se dégageait de ce bain peu ragoutant. Mais j'avais envie d'y plonger, de retrouver mes racines dans cet endroit maudit, de me salir, de toucher la terre et la poussière. J'enlevais donc mes vêtements et plongeait tête la première dans la substance épaisse.  

Un murmure désapprobateur fit écho au son de mon plongeon, mais je n'en avais rien à faire, je voulais me libérer de ce carcan que la « vie en société » imposait dans les sphères bourgeoises.

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