la Cave

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- Nicolas ! Nicolas ? Je vais aller travailler, tu peux descendre ?… Nicolas ?… tu es là ?
     - Hmmm…
     - Nicolas ! dépêches toi ! je dois y aller.
     - Heu… oui maman, j’arrive tout de suite !
     Nicolas était encore plongé dans un demi-sommeil. Il était pourtant onze heures du matin, mais c’était le mercredi, jour où il n’y avait pas école… : La contrepartie était d’y aller le samedi matin, mais il appréciait beaucoup la grasse matinée offerte en plein milieu de semaine ! A huit ans, même s’il aimait bien l’école, il adorait passer ces délicieux moments sous la couette, au chaud, au calme, et rester là, à rêvasser.
     Il dut se faire violence pour quitter la douce chaleur de son lit : Qu’est ce que veut me montrer maman ? se disait-il, d’habitude elle me laisse un petit mot, et ne me réveille pas. Néanmoins, pour ne pas faire attendre sa mère qu’il aimait par-dessus tout, il se leva et descendit vite au rez-de-chaussée… trop vite ! Il dérapa aux premières marches de l’escalier en bois, régulièrement ciré. Il faillit vraiment tomber à la renverse, mais se rattrapa à la rampe in-extremis… à son âge on a toujours de bons réflexes.
     - Oh ! Tu n’as rien ?
     - Non maman, c’est juste qu’en chaussettes cet escalier est une véritable patinoire !
     - Alors fais attention à ne pas descendre si vite, tu m’as fait peur !
     Carole, la mère de Nicolas, était terrifiée pendant le court instant où elle le vit perdre équilibre : Comme toutes les mères, elle imaginait toujours le pire. La petite poussée d’adrénaline qui en résulta lui laissa une sensation agréable et apaisante quand Nicolas, d’un pas modéré, descendait les dernières marches.
     - Pourquoi voulais-tu me voir maman ?
     - J’ai eu un problème avec la machine à laver.
     - Ah bon ?
     - Oui, ce matin, j’ai voulu faire une machine, mais j’ai plutôt obtenu une… inondation.
     Elle affichait un petit sourire tout en disant cela, elle essayait d’en plaisanter, mais cherchait surtout à dédramatiser et à se calmer elle-même.
     - J’ai épongé toute l’eau, et le sol est en train de finir de sécher. J’ai aussi appelé le réparateur, il doit passer cette après-midi.
     - Ah bon ? ah… heu… et quand il viendra, je devrais faire un truc ?
     - Oui, il faudrait que tu l’amènes à la machine à laver. C’est pour cela que je t’ai dit de venir, car maintenant je pense que tu es assez grand et que je peux laisser la porte de la cave ouverte, non ?
     - Heu… oui… bien sûr.
     Nicolas n’était jamais entré tout seul dans la cave de la maison, tout simplement parce que cette dernière était toujours fermée à clef : Marc, le père de Nicolas, disait qu’il « était encore trop jeune » et « que c’était donc trop dangereux pour lui qu’il traîne dans la cave ». En effet, Marc y avait son coin bricolage et craignait que son fils puisse s’y blesser - voire pire - avec ses outils. Du coup, la porte de la cave était maintenue fermée pour éviter un malheur. Nicolas avait eu l’occasion d’aller dans la cave, mais toujours avec ses parents, et il n’aimait pas trop cet endroit : Il le trouvait trop sombre, trop silencieux, triste avec ses murs de béton gris. Son imagination d’enfant y voyait moult dangers… et finalement cela ne l’embêtait pas que la porte en soit tenue fermée.
     - Tu viens ? je vais te montrer.
     - Oui m’man, je te suis.
     Carole et lui descendirent l’escalier en béton de la cave, il formait un « U » comme l’escalier qui monte à l’étage juste au-dessus de leurs têtes. Parvenus en bas, ils tournèrent à gauche et arrivèrent dans la pièce servant de buanderie, là où des fils pour étendre le linge étaient tendus entre les murs, et où se trouvait aussi la fameuse machine à laver ! On distinguait bien que quasiment toute une partie du sol autour de la machine était encore humide, mais à proprement parler il ne restait plus d’eau au sol.
     - Pfff ! Ca n’a pas été évident d’éponger toute cette eau ! Mais bon, apparemment il n’en reste plus… C’est bien pratique les serpillières, mais il faut quand même quelqu’un derrière pour s’en servir… et ça, ça l’est moins !
     - Faudrait inventer un robot qui passe la serpillière !
     - Ah, eh bien tu pourras l’inventer pour ta petite maman quand tu seras grand !
     - Hé-hé, oui !
     Nicolas disait vouloir devenir inventeur, c’est toujours mignon à cet âge-là de les entendre parler de ce qu’ils feront plus tard. Cela faisait maintenant un an que Nicolas disait vouloir devenir inventeur… De quoi ? ça il ne le disait pas ! Mais en même temps Carole et Marc ne voulaient pas briser ses rêves ni nuire à son ambition… : Elle aurait sûrement assez d’occasions pour s’émousser quand il grandirait !
     - Donc quand le réparateur viendra, tu l’amèneras à la machine. Marc a vérifié et ça ne vient pas de la canalisation, c’est la machine à laver qui à un problème d’étanchéité quelque part.
     - Ca n’a pas dû être évident de tout éponger !
     - Oh ça non ! mais bon, il fallait bien le faire… Bon ! je dois aller travailler, je dois y être pour onze heures et demie et je vais être en retard si je ne me dépêche pas.
     - Tu seras de retour quand ?
     - Ce soir, vers huit heures.
     Carole travaillait dans un des supermarchés de la ville en tant que caissière. Ses horaires étaient variables et aujourd’hui elle était d’après-midi.
     - Alors à ce soir mon poussin ! Et fait bien attention à ne pas faire de bêtise dans la cave ! De toute façon je ne pense pas qu’on continuera à la fermer à clef, tu es un grand garçon maintenant ?
     - Ben oui ! dit fièrement Nicolas.
     - Un petit bisou avant de partir ?
     Carole se pencha et tendit son visage tout sourire vers son fils, Nicolas d’un mouvement rapide déposa un petit bisou sur sa joue. Puis ils remontèrent ensembles l’escalier. Il la regarda chercher ses clefs de voiture dans son sac... elle les sortit, puis elle se tourna vers lui, le fixa tendrement quelques secondes, lui sourit, l’embrassa sur le front, se plaignit encore une fois d’être en retard, et sortit.
 
     Carole partie, Nicolas, toujours en chaussettes, remonta dans sa chambre afin d’aller enfiler un jean et ses chaussures. Au passage il prit son temps pour choisir une de ses bandes dessinées. Ainsi équipé, il descendit dans le salon, s’allongea sur le canapé, et s’afféra à sa lecture.
     Nicolas était toujours content d’avoir la maison pour lui tout seul, il était tranquille sans la surveillance de ses parents. Il faisait bien attention à ne pas y mettre le fouillis pour qu’ils continuent à lui faire confiance et le laissent seul à la maison le mercredi. Les activités ne manquaient pas : lire ses bandes dessinées, aller jouer sur l’ordinateur de papa, regarder la télé, ou aller fouiller un peu partout dans la maison ! Néanmoins, Nicolas faisait toujours en sorte de tout bien remettre en ordre et ne disait rien de ses explorations à ses parents, et il ne dit surtout rien à propos des revues bizarres qu’il avait trouvées dans leur chambre !
     Nicolas n’arrivait pas à se concentrer sur sa lecture, la cave l’obnubilait de plus en plus : La porte n’en était pas fermée à clef, et qui sait ce qui pourrait sortir de là ! Son imagination débordante de petit garçon lui laissait y voir de gros rats, des chauve-souris… ou les monstres qu’il voyait dans les films à la télé : Il y en avait peut-être un, qui, sorti de la cave, était maintenant là : Caché dans l’ombre, au coin d’un mur, respirant lourdement, bavant d’avance en pensant à sa prochaine victime. Et au moment opportun, il sortirait de sa cachette, ferait face à Nicolas en émettant un grognement sourd, en découvrant ses dents pointues encore rougies de sang, la bave coulant par longs filets de sa… gueule… Il s’approcherait lentement de Nicolas, grondant de plus en plus fort, et d’un coup… bondirait sur lui !
     - Hhhhiiiinnm ! maman !
     Nicolas sursauta, émergeant du demi-sommeil dans lequel il avait sombré juste quelques secondes. Il était allongé sur le canapé, en sécurité, sa bande dessinée entre ses mains, regardant devant lui, le regard vide. Il se sentait un peu honteux d’avoir ainsi appelé sa mère, surtout que maintenant c’était un « grand garçon » : il ne devait plus paniquer comme ça au moindre petit cauchemar !
     Il réalisa qu’il ne se rappelait plus si la porte de la cave était bien fermée : rien qu’à l’idée qu’elle puisse être ouverte la panique l’envahit. Il se leva d’un bond, avança dans le couloir et put constater que la porte de la cave était bien fermée : Il poussa un grand ouf de soulagement.
     Rassuré, il revint dans le salon et alluma la télé : Il était midi, et il n’y avait pas grand-chose d’intéressant. Il zappa machinalement pendant plusieurs minutes, puis s’arrêta. Il se trouvait vraiment stupide d’avoir eu peur comme ça : Après tout ce n’est qu’une cave ! pensait-il. Et s’il y avait des monstres dedans, pourquoi ne seraient-ils jamais montés à l’étage quand papa et maman étaient là, puisqu’ils laissent la porte parfois ouverte ? Fort de cette idée, il se sentait un peu idiot d’avoir eu tellement peur de cette cave.
 
     Il était maintenant midi, et la faim se faisait sentir. Il posa sa télécommande, et arrivé à la cuisine, fouilla dans le réfrigérateur... Il était tout seul, alors il pouvait très bien se faire un gros sandwich ! personne n’irait le gronder ! Il déposa une tranche de pain beurrée sur l’assiette, empila dessus du jambon, du fromage, des cornichons… puis encore du pain, un peu de beurre, du jambon, du fromage… et en fit une tour de trois étages successifs ! Alors muni aussi d’une bouteille de soda, il retourna sur le canapé, devant la télévision. C’était l’heure du journal télévisé et Nicolas le regarda tout en mangeant. Toutes les deux ou trois bouchées il prenait une bonne gorgée de soda tout en continuant à fixer la télévision. Son sandwich terminé, repu, Nicolas s’allongea, le journal télévisé annonçait à la chaîne les drames du monde : tous ses conflits, ses problèmes économiques, ses accidents de la route… Et il se dit qu’il était bien, là, en sécurité, allongé sur son canapé. Cette idée le rassura, et lentement, il ferma les yeux… et s’endormit.
 
     Une heure plus tard, Nicolas fut réveillé par le son de la télévision : Une publicité plus bruyante qu’une autre l’arracha brusquement de son sommeil. Il sursauta, puis regarda fixement la télé, l’air hébété. Pfff… j’aime pas les publicités ! pensa-t-il en fronçant les sourcils. Agacé, il éteignit la télé.
     Il resta là plusieurs minutes, sans bouger, assis sur le canapé, seul le « tic tac » de la pendule accrochée au mur ponctuait le silence : Il s’était remis à penser à la cave. Je suis idiot d’avoir peur de cette cave, ça n’a pas de sens ! … Mais bon, j’en ai peur, qu’on me dise grand garçon ou pas ! … Mais qu’est ce que j’en ai à craindre, il n’y a personne dans cette cave ! Le seul danger, ce sont les outils de papa, et je sais bien qu’il ne faut pas y toucher… C’est quand même la seule partie de la maison que je n’ai pas encore explorée, il doit y avoir plein de choses à découvrir ! Et puis s’il y avait un monstre dans cette cave, il serait venu me chercher depuis longtemps !
     Nicolas se leva en prenant son temps, il commençait juste à se diriger vers la porte de la cave quand il se dit : Hmmm… je jouerai bien aux jeux vidéos avant, finalement. Nicolas, qui avait peur, repartit donc jouer aux jeux vidéos dans le salon... Mais il n’était pas intéressé par sa partie et continuait de penser à la cave et à l’exploration qu’il pourrait y faire, tandis que sa peur continuait de lui dicter de ne pas y aller. Au bout d’un quart d’heure, s’apercevant que sa partie l’intéressait à peine, il éteignit la console et resta là, comme auparavant, assis sur le canapé, accompagné du son de la pendule accrochée au mur.
     Bon allez, j’y vais ! Nicolas se leva d’un bon du canapé, se dirigea d’un pas ferme vers la porte de la cave, et en la voyant, fut paralysé par la peur : La porte qui, au moment où il était allé chercher son sandwich était fermée, était maintenant entrouverte ! Il s’arrêta net, il ne bougea pas d’un millimètre, les muscles tendus, il tremblait légèrement, comme sur le point d’exploser. Son esprit, en dépit de la panique, cherchait à analyser la situation : Comment ça se peut ! Ca n’est pas possible ! QUI a ouvert la porte ? sûrement pas moi ! Et s’il y avait quelqu’un dans la cave au moment où j’ai été prendre mon sandwich... Vu que la porte est maintenant ouverte… alors… il est peut-être ici !. Cette idée le terrifia de nouveau, il avait envie de crier et d’appeler sa mère, mas ce n’était pas le moment de faire du bruit. Il tremblait encore beaucoup, il sentait ses membres ankylosés, mais il se mit à marcher lentement vers la porte. Centimètres après centimètres il découvrait l’intérieur de l’escalier : l’idée que quelqu’un pouvait être là, se tenant debout sur les marches, le terrifiait. Il finit par arriver devant la porte ouverte : il n’y avait personne. Il descendit alors la première marche de l’escalier et se colla le dos au mur pour se rassurer : ainsi on ne lui sauterait pas dessus par derrière. Nicolas avait peur et essayait de se calmer : lentement il ferma les yeux, essayant de retrouver un peu de sérénité.
 
     « BLAM ! »
 
     La porte avait claqué en se refermant d’un coup. Nicolas eut une fulgurante montée d’adrénaline, poussa un cri et sursauta. Le seul problème était que son sursaut le fit légèrement décoller des marches, et il ne se réceptionna pas bien dessus. « Oh, noonnn !» gémit-il : Nicolas tombait à la renverse, il essaya de se raccrocher à la rampe… mais il n’y en avait pas dans l’escalier de la cave. Complètement terrifié, il ferma alors les yeux. Il sentit une violente douleur à une jambe, suivit d’un élancement fulgurant à la tête… puis plus rien.
 
     Quand il ouvrit les yeux à nouveau, il avait très mal à la tête ainsi qu’à la jambe droite. La douleur était forte mais supportable. Il se trouvait en bas de l’escalier, couché sur le sol, en chien de fusil, les yeux ouverts : Quelqu’un a dû claquer la porte de la cave pour me faire peur… Alors, pourquoi je suis là, seul… et encore vivant ? Peut-être est-il juste derrière moi à attendre que je me réveille… et qu’est ce qu’il m’arrivera alors si je bouge ?... Non, il ne faut pas... peut-être que tant que je resterai immobile, rien ne se passera !
     Nicolas ne bougea pas pendant un bon quart d’heure, scrutant la pénombre de l’escalier. J’ai fait une sacrée chute, même le virage dans l’escalier ne m’a pas arrêté, j’ai dévalé tout l’escalier de haut en bas ! Et qu’est ce que j’ai mal ! Nicolas se risqua alors à bouger, lentement, au moins pour savoir s’il était blessé ou non : Il se déplia doucement, puis pivota sur le dos… et rien ne se passa, personne derrière lui qui ne lui sauta dessus. Rassuré, prenant alors appui sur ses coudes, il se redressa un petit peu. Il pouvait maintenant observer toute la cave : La lumière du jour éclairait faiblement à travers les soupiraux. Les murs étaient toujours gris, comme le plafond, comme le sol… Nicolas tourna lentement la tête : à sa droite, l’escalier d’où il venait, plongé dans la pénombre. Il y avait aussi, encore plus à droite, un passage donnant sous l’escalier où étaient entreposées les bouteilles pour les repas. Devant lui, la pièce où se trouvait un frigo, une gazinière et une table, ces derniers servaient comme cuisine d’appoint : Sa mère l’utilisait pour les grands repas, ou les longues cuissons. A sa gauche, le coin où son père bricolait, et aussi un débarras où étaient entreposées les vieilles choses dont on avait plus besoin mais « qui pourraient servir un jour ». Derrière lui, il y avait la buanderie, où se trouvait cette foutue machine à laver qui avait bien choisi son jour pour tomber en panne !
     Nicolas, rassuré de ne voir personne, se retourna en prenant appuis sur ses mains et commença à se relever. Sa cheville droite le faisait souffrir : Il fit un pas en boitant, la douleur était tout juste supportable pour marcher un peu, mais il serrait les dents, il ne voulait pas rester là, il voulait monter à l’étage et appeler sa mère au téléphone. Il voulait aussi ensuite sortir de la maison : il ne voyait pas d’autre moyen de sortir que par le rez-de-chaussée : La cave n’avait pas d’ouverture sur l’extérieur et il y avait des barreaux aux soupiraux... Il ne cessait aussi de se demander où pouvait bien être « l’autre » dans la maison : Peut-être allait-il revenir ? Peut-être était-il tout près de lui, là, dans la cave ? Nicolas voulut allumer la lumière pour se rassurer, appuya sur un interrupteur à portée de main : « clic »… mais rien ne se passa, « clic, clic, clic, clic… » toujours rien. Nicolas se sentait gagner par la panique. En boitant, en prenant appui contre le mur, il se traîna vers les interrupteurs des autres pièces, espérant que ce ne soit qu’une ampoule de grillée... Mais non, il n’y avait plus de courant : rien ailleurs ne s’allumait. Nicolas sanglota, maintenant il avait vraiment très peur et luttait pour ne pas paniquer. Il parvint au bout de quelques minutes à contenir ses larmes et à se calmer un peu. Puis, lentement, marche après marche, il gravit l’escalier. Chaque pas lui provoquait un élancement de douleur à sa cheville droite, et ce foutu mal de tête persistait…
     Comme il formait un « U » et qu’il n’y avait pas de fenêtre, sans électricité le haut de l’escalier ne recevait que peu de lumière de la cave. Parvenu en haut, malgré l’obscurité, il y voyait toujours, ses yeux s’étant accoutumés à la pénombre. Il saisit la poignée de la porte, la tourna, poussa, mais elle ne s’ouvrait pas, elle restait obstinément fermée ! Le sang de Nicolas ne fit qu’un tour, il n’y avait plus un doute, quelqu’un, ou quelque chose, lui voulait du mal. « Mmaaammaaaaannn », cria-t-il du plus fort qu’il pouvait : Il paniquait complètement, il frappait la porte à coups de poings, mais elle restait obstinément fermée… rien à faire. Il pleurait maintenant sans retenue et hurlait à sa mère tout en secouant la porte comme un forcené, mais la porte s’obstinait à rester fermée.
 
     Les minutes passèrent, Nicolas, résigné, avait progressivement repris son calme. Maintenant assit sur les marches, sanglotant encore, il réfléchissait : Qu’est ce que je peux faire… Je peux toujours crier pour que le réparateur m’entende quand il viendra... si seulement il vient... pfff... je ne peux pas compter là-dessus… il faut que je me débrouille tout seul... je ne vais pas rester là à ne rien faire, il doit bien y avoir moyen d’ouvrir cette porte… peut être avec les outils de papa !… Hmmm… l’arrache-clou ! ça pourrait marcher pour ouvrir la porte ! Et puis aussi je ne serais pas sans rien dans les mains au cas où je viendrais à croiser quelqu’un…
     Décidé à descendre chercher le pied-de-biche qu’il avait déjà vu traîner près de l’établi de son père, Nicolas se releva péniblement. Lentement, il descendit les premières marches, la douleur à sa jambe ne se laissait pas oublier même si elle ne l’empêchait pas de marcher. Aussi, il ne se rappelait pas qu’il faisait si sombre vers le bas de l’escalier. Marche après marche, cette impression se confirmait : la cave semblait plongée dans la pénombre. Tout tremblant, parvenu avec peine en bas de l’escalier, il scruta vers les soupiraux : il devait faire nuit dehors car quasi aucune lumière ne filtrait au travers. Nicolas, terrifié, regarda sa montre pour vérifier, il était deux heures de l’après-midi… Et il y avait aussi ce silence : il n’entendait aucun autre son, pas même les chants des oiseaux au dehors. Alarmé, Nicolas retint son souffle, cherchant à entendre ne serait ce qu’un léger bruit, rien qu’un. Il était seul, enfermé, debout dans l’obscurité d’une cave bien trop sombre et silencieuse pour l’heure. Les larmes affluèrent à ses yeux, de lourds sanglots s’emparèrent de lui, il s’avachit sur le sol, désorienté, désespéré. Il demeura ainsi jusqu’à prendre peur à l’idée de rester comme ça, sans même être caché, en bas des marches. Il se remit debout tout en essuyant ses larmes et se traîna lentement. Il enjamba les rangées de bouteilles et progressa jusqu’au plus profond de sous l’escalier. Au moins ici personne ne me trouvera… A moins de venir regarder sous l’escalier, on ne me verra pas… Et de toute façon avec cette obscurité je suis tranquille ! Ses larmes cessèrent, il s’assit et se recroquevilla sur lui-même, il gardait les yeux grand ouverts, il avait peur et ne voulait pas s’endormir. Puis les minutes passèrent… progressivement son calme revint… : Il se détendait, il se sentait en sécurité, là, lové sous les marches... Alors lentement ses yeux se refermèrent… et doucement, il s’assoupit…
 
     « frrr… frrr… »
     …
     « frrr… crrr… »
     …
     Son nez frémit quelque peu, ses paupières s’entrouvrirent, encore englué dans un demi-sommeil, il tendit l’oreille…
     « crrr… crrr… »
     Il ne le rêvait pas, il entendait bien le son d’un grattement. Nicolas ouvrit mollement les yeux, et s’assis en tailleur…
     « crrrr… ccrrrrr… »
     Quelque chose grattait tout près de lui, il le percevait maintenant bien… et ça venait d’à côté de ses pieds ! Il suffoqua tellement l’effroi l’avait pris par surprise : Non, ce n’est pas possible, qu’est ce qui gratte comme ça sous le béton, ç’est impossible ! Sous le sol il n’y a que de la terre !
     « crrcrrccrrrrr… »
     Comme si le bruit voulait lui donner tort, le grattement, impassible, continuait. Terrifié, Nicolas se releva d’un bond et se cogna violemment la tête contre le dessous de l’escalier. Le coup fut violent : une douleur forte et vive inonda le dessus de son crâne, puis elle fit progressivement place à une douleur plus lancinante et pulsative...
     « crrrrccCrrrrCCCRRrrrr… »
     Nicolas oubliant sa douleur rouvrit brusquement les yeux et regarda devant ses pieds : là d’où venait le son...
     « cccCCCCRRRRRrrrrrr… »
     Le béton se craquela sur une petite surface, puis des petits morceaux s’en détachèrent.
     La partie de béton déjà bien craquelée se brisa. Maintenant il pouvait discerner dans la pénombre un petit trou dans le sol. Nicolas, terrorisé, ne bougeait pas, comme une obsession il se demandait ce qui allait bien pouvoir sortir de ce petit trou.
     Le béton se rompit sur une plus grande surface. Une forme noire, poilue émergea du trou… il lui sembla aussi discerner des griffes !
     Ce coup-ci une espèce de gros bras velu et noir sortit du trou. Immobile quelques secondes, il s’agita subitement dans tous les sens, cherchant visiblement à agripper quelque chose. Nicolas, les yeux grand ouverts, ne bougeait plus, ne pensait plus : la terreur l’envahissait.
     Puis les deux « bras » sortirent. Nicolas, comme devenu fou, se mit à gindre et à frapper du poing contre le mur en brique derrière lui tout en continuant à fixer le trou et ce qui en sortait : Les deux bras, repliés, tâtaient le sol tout autour. Nicolas continuait à battre le mur du poing, d’un rythme régulier, très fort, se blessant la main jusqu’au sang : il ne sentait plus la douleur, son esprit, sa raison, avaient déjà fui.
     D’un coup Nicolas se tut, ce qu’il réalisa le fit subitement émerger de sa torpeur : cette fois-ci, c’est la tête qui va sortir ! c’est la tête de cette chose qui va sortir ! oh non, je veux m’enfuir, je veux partir, à l’aide ! Nicolas n’eut pas le temps de réagir que la tête surgit du trou : une tête poilue, noire, comme le reste du corps qui dépassait. Elle lui paraissait ressembler à une tête de chien, avec une gueule proéminente, bien trois fois plus grosse qu’à la normale. La « chose » se tordit brusquement le cou en direction de Nicolas et le fusilla du regard, ses yeux jaunes sales ressortaient sur son pelage noir. Il se mit à grogner, comme un chien prêt à mordre... « MMMaaaaMMMaaaaAAAANNNN !!! »  : Nicolas hurla, et tout à coup, un éclair de lucidité le traversant, il bondit pour sortir de sous l’escalier, puis couru, renversant les bouteilles au passage, il vira tout de suite à droite, gravit à toute allure les marches de l’escalier, se jeta sur la porte, et saisit la poignée à deux mains pour essayer de l’ouvrir… mais malgré son acharnement, elle résistait. Totalement pris de panique, il se plaqua contre la porte, hurla à l’aide, tambourina la porte de ses deux poings, le plus fort qu’il pouvait... mais en vain.
 
     Finalement épuisé, renonçant à hurler et à cogner plus encore, Nicolas, désespéré et en pleurs, s’avachit sur les marches... Il crut subitement entendre un son, il se tut sur-le-champ, oreilles grandes ouvertes. Dans le silence qui fit place, il espérait entendre la voix de quelqu’un derrière la porte, mais rien, aucun son… à part un bruit de verre brisé dans la cave ! Ce qu’il réalisa immédiatement l’épouvanta : La chose devait maintenant se trouver dans les débris des bouteilles qu’il avait cassées en s’enfuyant… elle était sortie du trou ! Et il était à sa merci, coincé, en haut de l’escalier ! Il n’y avait pas un instant à perdre, et Nicolas dévala l’escalier en trombe.
     Survenu aux dernières marches, il entrevit à sa gauche apparaître une patte de la bête, grosse et velue… : la bête allait l’attraper en bas de l’escalier… Peut-être que s’il virait à droite, il pourrait peut-être passer in-extremis. A la dernière marche, Nicolas saisit le bord du mur à sa droite et effectua un quart de tour extrêmement rapide. Il sentit le souffle fétide de la bête, mais sans s’arrêter il se précipita jusqu’au fond de la pièce où se trouvait la gazinière, et s’arrêta net, ne pouvant aller plus loin : Et maintenant je fais quoi ? j’ai un peu plus de place que dans l’escalier, mais je suis toujours coincé… je ne peux rien faire, je suis perdu… maman… non !
     Nicolas, tout tremblant, les yeux mis clos, se retourna lentement, et recula de quelques pas en apercevant la bête : Elle se tenait debout à l’entrée de la pièce, elle était énorme, grosse, ventre bombé… Elle se tenait recourbée et touchait presque le plafond, sa gueule était entrouverte, monstrueusement démesurée par rapport à sa tête, ses yeux jaunes sales fixaient sans broncher Nicolas. La bête restait là sans bouger, son regard semblait lui dire : « Je vais te bouffer, je vais te dévorer entièrement, lentement, et je vais te savourer. Tu vas souffrir et beugler avant de mourir dans ma gueule, tu vas pisser le sang, et je me ferais un plaisir de tout lécher… je n’aime pas gâcher ».
     Affolé, à la recherche désespérée d’une échappatoire, Nicolas se retourna, faisant face à la gazinière… « wwwWOOOOUUUUFFFF » ! D’énormes flammes bleues d’au moins un mètre de haut jaillirent des brûleurs. Nicolas, désemparé, recula de quelque pas, la chaleur des flammes inondait son visage. N’ayant d’autre choix que de faire face à la bête, il se retourna : celle-ci avait commencé à avancer, mais si lentement que Nicolas pensa que son poids devait l’empêcher de se mouvoir vite, ou alors… qu’elle prenait son temps !
     Nicolas transpirait à grosses gouttes. Désemparé, il regardait, yeux écarquillés, la bête avancer vers lui. A quoi bon bouger ? pour aller où ? pour quoi faire ? où fuir ? qu’est ce que je peux faire contre une chose pareille ! Puis une idée déboula subitement dans son esprit : Pourquoi finalement ne pas se servir du pied-de-biche qui se trouvait dans le coin bricolage de son père ! Il ne pourrait sûrement pas tuer la bête avec, mais tout du moins lui faire mal et peut être la faire fuir… de toute façon, pour l’heure il n‘avait pas d’autres idée. Brusquement Nicolas se rua vers la sortie de la pièce. Il plissa les yeux, car l’impulsion que demanda sa course déclencha un éclair de douleur à sa cheville droite. Manquant de place, il frôla le corps massif de la bête et sentit le contact rêche des poils de sa fourrure… mais aussi de ses griffes pointues qui pénétrèrent son cuir chevelu : La douleur fut atroce et s’ajouta en prime à son mal de tête qui persistait. N’arrêtant pas sa course pour autant, la peau de son cuir chevelu se déchira, le libérant du coup de patte que la bête lui avait asséné. La douleur était insupportable, elle pulsait, il la ressentait partout dans le haut de son crâne.
     Il courut jusqu’au coin bricolage de son père, mais ne voyait pas le pied-de-biche. Paniqué, il fouilla partout sur l’établi : mais rien. Il se retourna et l’effroi s’empara de lui quand il vit la bête à quelques mètres de lui. Pensant soudain à chercher sous l’établi, il se baissa et découvrit un carton duquel dépassait l’arrache-clou. Sans hésiter, il empoigna le carton et le tira vers lui, saisit le pied-de-biche, et se retourna de suite : La bête se tenait maintenant à deux mètres de lui, elle s’arrêta net quand Nicolas lui fit de nouveau face. Pris comme d’une rage de désespoir, Nicolas hurla, brandit l’arrache-clou, effectua un mouvement ample et circulaire et le pied-de-biche vint s’écraser sur le côté droit du bassin de la bête. On entendit un grand « CRAC », des petits éclats de bois volèrent en tous sens : Une moitié du pied-de-biche tomba au sol, l’autre restant encore dans les mains de Nicolas qui se tenait debout, pétrifié, ne comprenant plus rien à ce qui se passait. Ces genres de trucs ne sont pas en bois ! j’en suis sûr, ça n’est pas possible ! Après la gazinière, l’arrache-clou… je deviens fou, j’en peux plus ! Il se rendit subitement compte d’un bourdonnement dans ses oreilles, plutôt léger, comme si des abeilles volaient au loin autour de lui. Le mal de tête quant à lui était toujours très fort, quasi insupportable.
     Dans un sursaut désespéré, Nicolas se mit à courir, contourna la bête, et se précipita vers la buanderie, là où il n’avait pas encore été, espérant sans y croire y trouver une échappatoire. Il courut jusqu’au fond de la pièce, en dessous du soupirail si désespérément scellé par les barreaux. Le bourdonnement dans ses oreilles se faisait de plus en plus fort, de plus en plus présent.
     « Bang ! Bang ! »
     Nicolas sursauta, il se retourna vers l’endroit d’où provenait le son : La machine à laver bougeait ! elle se basculait d’un côté à l’autre et ainsi se déplaçait ! Même si son déplacement semblait grotesque, le bruit métallique que cela produisait était effrayant. Pétrifié, Nicolas regardait, spectateur impuissant, la scène hallucinante et terrifiante qui se déroulait sous ses yeux.
     « Bang ! BANG ! Bang ! BANG ! Bang ! BANG ! »
     La bête se tenait à l’entrée de la pièce, la machine à laver vint se placer derrière elle… bloquant ainsi l’entrée ! Ce coup-ci, Nicolas comprit qu’il ne pourrait pas s’échapper, qu’il ne pouvait plus rien faire pour éviter la fin inéluctable. La bête émit un grognement, comme un chien avant d’attaquer. Elle s’approcha lentement de Nicolas, qui restait figé, désespéré, paralysé par la peur et l’idée de sa propre mort. Le grognement de la bête se fit plus fort, arrivé tout près de Nicolas, elle ouvrit sa gueule et dévoila deux rangées de dents longues d’au moins cinq centimètres... Elle regardait fixement le visage de Nicolas, de sa gueule ouverte coulait un filet de bave, sa langue pendouillait… : le monstre bavait devant son repas.
     Les bourdonnements devenaient insupportables, il n’entendait plus que ça, on aurait dit qu’il avait deux essaims d’abeilles à la place des oreilles. Le mal de tête devenait si fort qu’il avait envie de hurler pour se libérer de la douleur.
     Et la bête se pencha sur lui.
     La dernière image qu’il vit fut l’intérieur de sa gueule, le dernier son qu’il entendit fut le grand « crac » que firent les os de son crâne pris sous les dents de la bête… Il ne sentit aucune douleur supplémentaire, de toute façon elle était déjà insupportable. Le bourdonnement continuait, et tout se mit à tourner, vite, de plus en plus vite, le bourdonnement était maintenant complètement assourdissant… et tout tournait… et tournait encore… et encore…
     Et puis plus rien.
 
     Carole rentra de son travail le soir, à huit heures, comme prévu.
     - Nicolas ?
     Pas de réponse.
     - Nicolas ?
     Toujours rien.
     Carole monta à l’étage, mais son fils ne s’y trouvant pas, elle décida d’aller voir à la cave. Tiens !  la porte de la cave est entrouverte... C’est vrai qu’elle ferme mal quand elle n’est pas fermée à clef... J’espère que Nicolas n’a pas pris peur... En plus comme par-dessus le marché elle claque à cause des courants d’air de la maison...
     Elle alluma la lumière de l’escalier, et descendit. Arrivée à mi-parcours, elle hurla, elle hurla si fort qu’on l’entendit dans tout le pâté de maison : Nicolas gisait, étendu en bas de l’escalier, bras et jambes écartés, yeux écarquillés, sa langue pendant grotesquement hors de sa bouche. De son petit nez coulaient deux filets de sang qui avaient coagulé et formaient deux petites flaques sur le sol de chaque côté de sa tête.
     L’analyse du corps révéla que Nicolas était tombé dans l’escalier : il s’était cassé la cheville droite, mais avait surtout écopé d’une hémorragie cérébrale, il ne s’était donc jamais relevé après sa chute dans l’escalier et était resté dans le coma… jusqu’à sa mort qui survint peu après.

la caveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant