Elle avait croisé ses bras sur le rebord de la fenêtre pour y poser sa tête, et elle regardait la neige tomber. Elle reposait ses yeux en contemplant le spectacle qu'offrait ce doux duvet blanc en ce soir de décembre. Les flocons s'étaient posés délicatement sur le sol jusqu'à le recouvrir d'une fine pellicule blanche, et en regardant bien, elle pouvait apercevoir les traces de ses pas rentrant chez elle. Elle n'était encore qu'une fillette, et cette multitude de petits pieds dessinait une étonnante arabesque dont la beauté résidait dans l'innocence de sa splendeur. Le vieux portail, les arbres courbés par le temps, les quelques astres présents dans le ciel ce soir là, tous admiraient cet incroyable tableau que l'enfance avait placé sous leurs yeux.
La petite fille habitait une vielle demeure, et quelque peu délabrée; la tole du toit manquait cruellement d'étanchéité, laissant apparaître de temps à autre une faille égarée, l'empilement des pierrres qui dressaient la maison laissait à désirer, quant à l'intérieur même de l'habitation, la forte inclinaison des poteaux de bois servant à supporter l'installation laissait peu de places aux meubles; seul le mobilier rudimentaire, lui aussi légèrement bancal, était présent.
Le manque d'argent était considérable dans cet famille, et malgré son jeune âge la fillette le savait bien, mais elle n'aimait pas penser que ce déficit soit la cause de la médiocrité de son chez elle. Non, elle, elle aimait se dire que les trous dans le toit servaient à abriter le ciel quand il était triste, et que c'était pour ça que la pluie humidifiait le sol de sa chambre par temps d'orage; elle aimait expliquer, quand le petit jour ensoleillé se levait, que sa maison avait consolé les nuages. Elle aimait se dire que si l'ajustement des pierres n'était pas parfait ce n'était pas parce que la maison allait tomber, mais parce qu'elle la protégeait avec tous ses bras comme en lui faisant un gros câlin, or des bras tendus ne s'entassent pas; ils protègent les gens de tout leur amour, c'est pour ça que la maison paraît sur le point s'écrouler, et elle, elle trouvait ça chaleureux, elle savait son petit sanctuaire fort de l'intérieur. L'intérieur...L'intérieur de la maison n'était pas luxueux, loin de là, mais c'était chez elle, et elle y trouvait tout ce dont elle avait besoin; trois chaises récupérées dans le grenier, un fauteuil au revêtement déchiré, une table aux pieds asymétriques, quelques meubles imprégnés de l'odeur du vieux bois, et deux chambres. Sa chambre, c'était la plus belle, disait elle. Elle ne comportait qu'un simple lit, une armoire grinçante et une fenêtre sans vitre sur le toit, mais c'était son refuge, le sien rien qu'à elle.
Les gens disaient souvent que cet abri n'était qu'un t'as de ruine recollé maladroitement à la glue, mais elle, elle n'en disait que du bien. Elle vantait sa maison comme personne ne se le serait permis, mais les autres, eux, ils ne comprenaient pas. Ils ne voyaient pas quels mérites pouvait avoir un tel tas de poussière, ils ne voyait pas ce qui gardait le sourire de la fillette accroché à ses lèvres. "Mais comment peut-elle être heureuse?"disaient ils. "Qu'est ce qu'elle a pour faire pétiller ses yeux ainsi?"ne pouvaient ils s'empêcher de se demander. Et bien, elle avait ça.
Tous les soirs, elle s'accoudait sur le rebord de cette fenêtre, et, agenouillée sur une pile de caisses en bois, elle attendait son père. Quand il arrivait du travail, elle le regardait rentrer dans la maison avec sa grosse veste sur le dos et ses chaussures de soldat. Avant de pénétrer dans la chaumière, il adressait toujours un discret clin d'oeil à sa fille qui, deux secondes plus tard, se retrouvait miraculeusement dans ses bras. L'homme embrassait la petite malicieuse, rangeait ses affaires, allait enlacer sa femme jusqu'à déposer un léger baiser sur ses lèvres, puis il discutait avec son enfant. Alors que celle-ci lui racontait sa journée dans les moindres détails de son enthousiasme débordant, il l'écoutait paisiblement, buvant chacune de ses paroles, puis, tout aussi sereinement, il allait chercher son accordéon, et commençait le spectacle.
C'était le moment de la journée que la fillette préférait; son père était un accordéoniste hors pair, et, chaque soir, il s'inspirait du récit de sa journée qu'elle avait commencé quelques minutes plus tôt pour lui improviser une mélodie. Il s'asseyait sur le fauteuil, son instrument entre les mains, et commençait tout doucement à jouer. La petite tête blonde, elle, s'asseyait au sol, en face de lui, et elle le regardait faire des merveilles avec ses mains.
Chaque soir, il remplissait la maison d'une nouvelle mélodie; il faisait vibrer les verres et rêver les étoiles, mais surtout, il illuminait les yeux de sa fille. Elle admirait particulièrement son père, et quand il jouait, elle se laissait transporter par tous les souvenirs et les émotions volages qu'il transmettait. Cependant ce qu'elle aimait par dessus tout n'était pas les prouesses musicales qu'il effectuait, mais sa préparation. Avant de commencer à jouer, son père s'échauffait, et échauffait son instrument. Il jouait alors quelques notes simples (et d'ailleurs la fillette avait longuement écouté ses gammes avant de lui déclarer sa préférence pour la note do; elle lui trouvait un charme que n'avaient pas les autres notes), puis il faisait deux ou trois accords avant de se lancer. Cela n'avait ni queue ni tête, mais elle aimait voir la mine de son père concentré, elle aimait ces notes au son pur qui boulversaient son coeur; ce n'était que les bases d'un morceau, mais c'était les bases les plus solides qu'on puisse trouver.
C'était ça, son secret. Elle n'aurait jamais beaucoup d'argent, elle le savait, mais elle avait beaucoup mieux. Elle avait le sourire de son père qui s'agrandissait au fur et à mesure qu'il jouait, elle avait cette lueur qui apparaissait dans les yeux de l'homme qu'elle aimait le plus au monde quand les premières notes retentissaient, elle avait ce sentiment que son coeur se réchauffait lorsque les premiers sons l'envahissaient. Elle n'avait pas besoin d'argent, elle avait tout l'amour de son père a travers ces morceaux d'un soir, et rien ne la faisait plus rêver. La musique les avait toujours accompagnés, et en sa présence la fillette se sentait voler au dessus des nuages, et en regardant son père elle avait compris, elle avait compris qu'elle était déjà riche. Elle n'était pas riche d'argent à en jeter par la fenêtre, non, mais elle était riche de la source d'amour la plus inépuisable qu'on puisse avoir; elle était riche de musique. Car oui, si le do est la base d'une partition, la musique était la base de leur bonheur.
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A dream for a smile
Short StoryA dream for a smile ☆ Music is universal Un rêve pour un sourire ☆ La musique est universelle Un sogno per un sorriso ☆ La musica è universale Мечта для улыбки ☆ Музыка является универсальным En dröm för ett leende ☆ Musik är universellt 哆啦A夢,一個微笑...