Tome 1 : Te retrouver

Prologue

      Inquiète, je jette un énième coup d'œil sur mon téléphone. Pourquoi ne répond-elle pas ?

-Elle a dû sortir avec ses amies... tente de me rassurer Paul.

- Mais qu'est-ce qui lui arrive en ce moment ? J'ai l'impression de ne plus la connaître, m'écriais-je, au bord des larmes.

- Elle grandit, essaie de te souvenir quand tu avais son âge !

- Pourquoi es-tu aussi calme ? Ta fille a disparu depuis des heures et tu trouves encore le moyen de plaisanter ?

Mon mari me regarde, une lueur incrédule dans son regard noir. J'ai conscience d'être injuste, mais la simple idée que Jade soit en danger m'empêche de garder mon calme.

- Excuse-moi, murmurais-je. J'ai peur, c'est tout.

Et tandis que je me jette dans ses bras à la recherche d'une éternelle étreinte rassurante, j'entends la porte claquer. Je m'empresse de rejoindre l'entrée où Jade se débarrasse de son manteau et défait ses longs cheveux blonds.

- Je peux savoir où tu étais ? Criais-je à ma fille.

- J'hallucine, j'ai deux heures de retard et j'ai le droit à un sermon ?

- Ne parle pas comme ça à ta mère, dit Paul en arrivant brusquement. Tu imagines à quel point nous étions inquiets ?

- J'étais avec des amis, ce n'est pas un crime !

En la voyant ainsi sûre d'elle, je reste bouche bée. A seize ans, Jade paraît déjà plus ; ses yeux verts sont légèrement maquillés, ses cheveux décoiffés lui donnent un air mûr. Elle est belle, mais elle n'en a pas encore conscience.

- Monte dans ta chambre, dit alors Paul. On en reparlera plus tard.

- Super, vraiment... lui répond Jade avec arrogance.

Avant d'avoir pu ajouter quelque chose, je la regarde monter gracieusement l'escalier et dix secondes plus tard, la porte de sa chambre claque dans un bruit assourdissant.

- Je m'en occupe, dis-je à Paul.

Après avoir frappé à sa porte plusieurs fois en obtenant le silence pour unique réponse, j'ouvre doucement la porte et retrouve Jade, allongée sur son lit, en larmes.

- Jade, ce n'est pas contre toi. Tu as le droit d'aller avec tes amis mais on veut simplement que tu nous préviennes et...

- Vous ne comprenez rien. Je n'ai pas vu l'heure c'est tout et je ne faisais rien de mal !

- Ecoute-moi. Tu ignores tout des dangers extérieurs...

- Je ne suis plus une gamine ! Me crie-t-elle, les joues recouvertes de traits noirs.

Je reste muette face à son regard dévasté. Je réalise que non, je ne l'ai pas vue grandir. Mais mon rôle de mère consiste à la mettre en garde de ce qui l'entoure, et surtout de ce qu'elle ne sait pas encore.

- Jade, tu as seize ans, tu es belle. Ne vois-tu pas les regards qui se posent sur toi quand tu sors ?

- Tu dis n'importe quoi...

- Bien-sûr que non. Tu es en train de changer mais il faut que tu te méfies des conséquences. Je suis simplement là pour te mettre en garde, pas pour t'accabler... dis-je plus calmement.

- Alors pourquoi la seule personne qui m'intéresse ne me voit pas ? S'écrie-t-elle, des sanglots dans la voix.

Je commence à comprendre. Ma fille connaît son premier chagrin d'amour et je n'ai rien su voir. Pourtant, je sais combien cela peut être douloureux. Dévastateur.

- Je sais que tu penses que je ne peux pas comprendre... commençais-je prudemment. Mais je sais aussi ce que tu ressens, crois-moi, j'ai connu cela aussi, quand j'avais à peu près ton âge.

Ma fille me regarde, pleine d'interrogations, et je réalise que je viens de m'aventurer sur un terrain dangereux. Mais avant de comprendre mon erreur, Jade me prend de court et me dit :

- Comment ça Maman ? Je croyais que tu n'avais connu que Papa ?

- Ton père m'a tout donné, tout ce qu'une femme peut espérer dans sa vie. Mais avant de le rencontrer, j'ai connu quelqu'un...

- Qui ça ?

- Tu ne le connais pas. Il a été mon premier grand amour, je lui ai confié mon cœur et il l'a brisé. J'ai mis beaucoup de temps pour tourner la page, et ton père est arrivé !

- Tu veux bien me raconter ? Me demande Jade, pleine d'espoir.

Au fond de moi, je ne suis pas certaine d'être prête. Vingt-cinq ans après, la douleur est toujours là, les regrets persistent. Reprenant mon souffle, je vais fermer la porte de la chambre et vient me rasseoir près de ma fille.

- C'était l'année de mes quatorze ans...