En chair et en force

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Éveillé au commun des mortels depuis maintenant trois décennies, Carl Hal, était lessivé. Comme à son habitude, crépuscule ou fin de journée de travail rimaient avec pleures et regrets. Sa grande taille, sa voix rauque et ses poils au torse n'y pouvaient rien. Les rêves d'espérance ne le bercent plus d'illusions. Il ne se sentait plus le jeune garçon jovial de ses vingt ans. Seul. Accroupi les bras enlaçant ses tibias sur son lit de seconde main, il regardait sa télé éteinte, retournant dans sa tête comme une bobine toutes les carrières qu'il aurait pût embrasser égoïstement, hélas, les échecs de la vie avaient eux raison de lui. Néanmoins il lui restait une bataille dont il ne comptait pas être défait. Aujourd'hui il avait été congédié, la première fois en quatre mois. Il en avait profité pour s'acheter un bidon d'essence de la marque "Phénix +" à la supérette du coin.

La conscience assez tranquille il se leva de son lit, s'en alla droit dans sa salle de bain. Le bidon en main droite, sa porte coulissante le détecta et se décala d'elle-même. Sa décision était prise et irrévocable. Ce 7 juillet il donnerait le coup de sifflet final à son existence. Le miroir craquelé dessinait des traits mornes. Des ruisseaux desséchés émanaient de ses yeux bridés, qui surplombaient des lèvres fossilisés. Ses cheveux soyeux gardaient quand à eux leurs éclats. Sûrement la seule réussite de laquelle il puisse ne pas avoir honte.

Carl plongea longuement son regard dans son reflet, puis déboutonna sa chemise et son pantalon noir sans oublier d'extraire son briquet de sa poche gauche. Il enjamba fébrilement la baignoire avant d'imbiber sa silhouette grêle d'essence. Alors, il fit jaillir une petite flamme bleue. Quand soudain la liste des pour et des contres s'établit comme par magie.
Hal hésitait se demandant comment il en était arrivé là. Sa vie valait elle honnêtement le coup d'être effacée ou vécue? Trouverait-il à nouveau le bonheur, si ce n'est par procuration vis-à-vis des réussites des autres? Des amis, en avait-il réellement ? Est-ce qu'il manquerait à sa famille? Tant de questions auxquels il n'avait pas de réponses. En outre ces dernières causaient chez lui un immense désarroi.

Le malheur voulut frapper fort, par ce fait le briquet glissa des mains de Carl sans lui donner l'occasion de le rattraper. Telle une caillasse lancé sur un lac silencieux, il se noya dans l'essence. Plus vélocement qu'une balle tirée à bout portant, le corps complet de Hal s'embrasa en un bûché de braises ardentes. Des cris de douleur bondirent de sa gorge, une danse macabre guidant ses gestes. Effrois était de mise, pitié en comparse. Son calvaire était interminable, rapidement il tenta d'ouvrir le robinet de toute ses forces, si fort qu'il le fêla.

-NOOOON!!!! mugit le condamné

L'issue final était une mort plus mortifiante que désastreuse. Après un long supplice hal et ses flammes s'éteignirent.

Du moins...c'est que son pauvre faciès calciné pouvait laisser entendre. Son sort n'était en réalité que quelque peu mouvementé mais en rien scellé.
L'aube appelait un soleil auguste toujours plus volumique à chaque instant. Les paupières gauche de Hal s'ouvrirent, suivies de l'animation de tout son corps, que dis-je de tout son squelette. Le cadavre se soulève presque machinalement, étonnamment il s'autorise à marcher et même à respirer avec un nez retroussé en moins. L'être s'avance précautionneusement du miroir, craintif il jette un regard en biais à son reflet. L'homme se voit transformé, sa peau n'est plus qu'un haillon de cendres,son visage lui donne la nausée tout en le bluffant. Il avait survécu à la plus horrible des morts qui soit, une nouvelle vague de questionnement troublait son esprit:

-Comment ma peau noirci avait pût tenir le choque...mes cheveux, je me souvient les avoir perdu et pourtant

Il effleura son crâne grumeleux

- Pire encore, comment est-il plausible que ma chair soit d'un tel bleu?pensait-il

Rouge vif à la norme, une lueur bleue émanait de ses tissus. Le réflexe de vérifier si toutes ses articulations étaient en ordre, lui parut le plus judicieux. Il déploya ses phalanges les referma sur ses paumes, releva respectivement son genou droit puis gauche.
Un éclair de frustration le titilla : Il ne quitterait jamais cet enfer.

SENTINELLE ONEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant