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Le premier oscar

- Ça tourne !

La caméra de mon pote me fait face. Je toussote, un peu gêné. Il me fait un sourire niai pour m'encourager. Je me lance.

- Bon bah voilà je...

- STOP !

Je râle.

- T'es sérieux ? Ça fait dix fois qu'on recommence !

- Oui, mais je t'ai déjà dix fois qu'il ne faut pas que tu commences par « bon bah voilà ».

Je me renfrogne. Lui et ses idées à la con... et moi qui accepte toujours d'y participer. Ce coup-ci, il voulait faire un petit film sur « les lambda du lycée ». Il m'avait direct contacté. Je ne sais pas si je devais être flatté.

Je finis par soupirer et lever les mains en signe d'excuse.

- Ok, ok, je vais me concentrer.

- Bien.

Il hoche la tête et rallume sa caméra.

- Ça tourne !

- J'mappelle Ari. J'ai 16 ans, et je suis complètement banal. J'ai un petit frère, une petite sœur, des parents un peu relous et puis un poisson rouge qu'on oublie parfois de nourrir. Je me suis cassé la figure plein de fois quand j'ai appris à faire du vélo, je me suis fait opéré de l'appendice, j'ai supplié mes parents pour avoir un chien quand j'étais môme et j'ai déjà laissé ma sœur me mettre des barrettes et des chouchous roses dans les cheveux.

Je vois Eliott se retenir de rire. Je le fusille du regard, avant de me gratter la nuque, cherchant ce que je pourrais bien dire d'autre.

- Ouai, j'suis complètement banal. J'ai pas vécu de grands drames, j'ai pas vécu de joies immenses non plus. Ma vie est plutôt... neutre. Elle a un peu le goût de l'eau. C'est pas insipide, mais ça vous fait pas tourner la tête comme un verre de vodka. Parfois, j'aimerais bien être un peu différent, vivre des trucs hors normes, prendre mon sac et me barrer de cette vie monotone, mais j'ai pas assez de courage, ou pas assez de volonté, j'sais pas. 

Je hausse les épaules. Le problème, avec moi, c'est que je ne sais jamais. 

- J'suis pas un rebelle, moi. 

Eliott m'encourage d'un signe de tête à continuer. Je me sens de moins en moins enthousiaste. J'ai l'impression que ce petit tournage rigolo est en train de se transformer en film dramatique où il va falloir sortir des mouchoirs tellement c'est pathétique.

- Alors bah, je continue ma vie banale en attendant la fin banale. De tout de façon, ça sert à quoi d'être quelqu'un d'extraordinaire ? L'oubli, il tue définitivement tout le monde. Lambda ou pas.

Je croise le regard de Eliott. Il éteint la caméra. Le silence est pesant. Je me lève de la chaise en plastique rouge. Mon visage est sûrement de la même couleur qu'elle. Je n'ai pas vraiment l'habitude de me confier autant. Ça ferait presque le mec déprimé, tiens. J'adresse un sourire bancal à Eliott qui range ses affaires.

- J'suis un bon acteur, hein ? 

- Très bon, je te décernerai même un oscar. L'oscar du mec qui perd toujours à Mario Kart.

 - Ah ouai ? Je parie que si on va chez toi, là, tout de suite, je te mets la misère !

- Pari accepté. Répond-il, solennellement, en redressant ses lunettes sur son nez.