Chapitre 1 : Prémonitions (partie 1)

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Oryndall (Terre des Dieux), Palais des Printoyés

A l'extérieur de l'édifice, les éléments se déchaînaient autour du Palais, habituellement le lieu le plus calme et romantique d'Oryndall. Le tonnerre grondait tandis qu'un ouragan tournoyait au-dessus du bâtiment, déracinant les arbres et faisant fuir les animaux sous une pluie incessante. Le sol commençait à se fissurer sous les secousses et non loin de là une tempête de sable prenait de plus en plus d'envergure. La végétation qui résistait aux vents violents quant à elle gelait sur place et éclatait en milliers de cristaux. Au milieu des hurlements stridents qui déchiraient la nuit, une silhouette se frayait un chemin à travers les violentes bourrasques. Elle vacillait mais redoublait sans cesse d'effort. Ses talons résonnaient dans l'espace assourdissant et son aura trahissait une fureur sans nom. Inconsciente du regard qui pesait sur elle, elle continuait déterminée et prête à livrer une des ses plus grandes batailles.

Les yeux perçants qui l'épiaient de l'autre côté de l'unique baie vitrée la virent disparaître derrière la façade. Quelques secondes plus tard une tornade sembla s'engouffrer dans le palais. Les battants de la porte volèrent en éclats dans un bruit fracassant, laissant passage à une véritable furie.

Une voix grave s'éleva alors :

- Que me vaut l'honneur d'une si charmante visite ?

Le propriétaire des lieux se tenaient au milieu de l'immense pièce entièrement drapée de draps rouges satinés, assis sur un gigantesque lit à baldaquin. Des centaines de bougies noires parfumées au Ylang-Ylang recouvraient le sol transparent au travers duquel on pouvait admirer les reflets bleus nacrés de l'Etoile d'Alkwor. Lévitant au-dessus de supports en fer forgé accrochés aux murs de la pièce, des fleurs de Printoyés illuminaient de leur douce lueur blanche la pièce et diffusaient dans l'air leurs pollens aphrodisiaques. Cette fleur étincelante représentait le symbole d'un amour éternel et étaient offerte par le Dieu Agen lorsqu'une humaine devenait une de ses alvalys. Le pouvoir de ce dernier était alimenté par les émotions des humains, mais rien ne le nourrissait autant que les ondes de plaisir provoquées par les délices de la chair. Il avait pour coutume de voyager une fois par mois parmi les humains et d'offrir le privilège de le servir à une vierge de son choix. Il déposait alors au soir une fleur de Printoyé sur l'oreiller de l'heureuse élue, et allait recueillir ce que sa nouvelle alvalys avait à lui offrir avant de l'emporter avec lui sur Oryndall. Cette tradition lui avait donné le titre de Dieu de la Luxure. Toutefois on racontait qu'il n'était plus allé sur Terre et qu'il n'avait plus consommé depuis qu'il avait ramené de force une humaine au tempérament de feu. Cette rumeur était indiscutablement absurde lorsque l'on connaissait l'appétit de cet ogre. Le palais avait d'ailleurs été entièrement conçu afin de rendre ses caresses encore plus envoûtantes et électriques. Les autres déesses elles-même rêvaient de se glisser dans la chambre des murmures, fantasme absolu et promesse d'orgasmes sismiques.

- Tu me dois une faveur Agen ! Et tu vas la tenir !

Cette parole résonna dans la pièce.

- Tiens donc ... , déclara le Dieu, un sourire naissant sur le visage. D'après mes souvenirs, c'est plutôt toi qui m'en dois une.

- Je ne te dois rien du tout ! rétorqua l'hôte d'une voix sans appel.

La furie semblait sur le point d'exploser. Du haut de son mètre soixante et onze elle paraissait minuscule face au Dieu qui dépassait largement les deux mètres. De petites mèches dorées s'échappaient de la capuche rouge qu'elle n'avait toujours pas opté. Bien que dissimulé, on pouvait facilement deviner un corps élancé. Le regard noir d'Agen restait rivé sur la jeune femme et rien ne semblait pouvoir le faire détourner les yeux, pas même la tempête qui continuait de faire rage à l'extérieur.

- C'est plutôt toi qui m'es redevable ! continua-t-elle. Alors tu vas lever tes fesses de ce lit et aller voir Ephren !

Haletante et les joues rougies par la colère, elle le foudroyait du regard, droite comme un piquet.

- Mais laisse-les tomber à la fin !

La voix tonitruante imposa un silence absolu dans la pièce. Il se pencha légèrement en avant et posa son avant bras gauche sur sa cuisse, position qui accentua son regard sombre. La jeune femme de son côté retint son souffle, surprise par le changement de ton.

- Les Humains sont des créatures dépourvues du moindre bon sens. Elle les a averti une première fois ... Une de leurs expressions ne dit-elle pas "on ne récolte que ce que l'on sème" ?

- Ils peuvent n'être que des vermisseaux à vos yeux Agen, mais ils sont mon peuple.

L'expression du Dieu se radoucit et un sourire apparut de nouveau sur ses lèvres.

- Ephren finira par se calmer, ne t'inquiète pas, lui dit-il. Tu pourras t'inquiéter quand Oryndall commencera à en ressentir les effets dévastateurs.

Sur quoi il se redressa et se laissa retomber en arrière sur le matelas. Les yeux de la jeune femme s'arrondirent, visiblement abasourdie. Elle déglutit péniblement puis s'avança vers lui d'un pas décidé. A quelques mètres, elle s'arrêta et lâcha :

- Depuis combien de temps n'as-tu pas regardé à travers ses gigantesques baies vitrées Agen ?

Le Dieu releva alors légèrement la tête et posa sur elle des yeux rougeoyants empreints de désir.

- Mais je le fais chaque fois que tu passes devant.

- Ce n'est pas moi qu'il faut regarder nom d'un chien ! hurla la furie. C'est autour de toi !!! Oryndall est complètement sans dessus-dessous. Elle va détruire la Terre, et nous avec !

Bien que le Dieu ne s'était plus autorisé à absorber les émotions de l'humaine depuis leur dernière altercation, il ressentait à cet instant précis la colère et surtout la terreur qui la submergeaient. Il se volatilisa soudainement et apparut une seconde plus tard derrière elle, vêtu de l'élégant costume noir qu'il arborait à chaque fois qu'il quittait son Palais. Sa téléportation avait provoqué un souffle d'air, indiquant à la jeune femme sa position. Consciente de la présence de son interlocuteur dans son dos, mais intimidée par cette promiscuité, la furie poursuivit sans se retourner :

- Malgré le peu d'estime que tu as pour les humains, tu ne peux te permettre de laisser Ephren les détruire. Je te rappelle qu'ils sont la source de vos pouvoirs. Et tu pourras continuer à me dire tout ce que tu veux, tu ne me feras pas croire que tu ne te soucis pas de leurs sorts. Pas toi, et les autres non plus d'ailleurs.

Elle patienta délibérément deux secondes avant de continuer.

- Ephren leur a créé l'environnement le plus splendide qu'il soit, Beawhan a placé sur Terre les créatures les plus merveilleuses qu'il ait créé, et certains dont je ne citerai pas le nom s'accouplent même avec !

Il haussa un sourcil en entendant cette dernière parole prononcée d'une voix bien trop aiguë pour être anodine. Il ne fut d'ailleurs pas le seul à le remarquer, si bien qu'elle reprit de suite.

- Les humains sont vos créations ! Vous les avez créé, peut être par ennui, mais ils sont là à présent. Et ils sont devenus indispensables. Nous sommes devenus indispensables, reprit-t-elle en insistant sur le "nous". Si tu ne fais rien, Ephren va détruire tout cela.

Elle se retourna lentement et fit face au Dieu. Son corps emplissait tout l'espace si bien que la vaste demeure paraissait très étroite. Sa tête commençait à tourner, certainement l'effet du pollen pensa-t-elle.

- Aide-moi Agen, je t'en conjure, il n'y a que toi qui puisse ...

Sa voix se cassa. Il prit le menton de la jeune femme entre ses doigts et lui releva la tête. Sa colère avait fait place à du désespoir et elle ne semblait plus si dangereuse. Les yeux fermés elle l'entendit murmurer à son oreille :

- Premièrement, tu te trompes. il n'y a qu'une seule humaine qui ait de l'importance à mes yeux, et si elle disparaissait, je me laisserais mourir ...

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⏰ Last updated: Jul 19, 2017 ⏰

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